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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/889

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mérite bien supérieur encore, qui formaient la décoration de la villa de Livie dite ad Gallinas''[1]. Les quatre parois sur lesquelles était peinte cette décoration présentaient un développement de 11m, 72 de longueur sur une hauteur de 5m, 84. Il ne s’agit plus cette fois de compositions dans lesquelles le paysage occupe une place plus ou moins importante, mais bien de paysages purs, qui, sans aucun recours au symbolisme, visent à donner l’illusion de la nature elle-même. Des treillages de roseaux ou des masses vigoureuses de feuillages y servent d’encadrement à des échappées sur un jardin tout rempli de rosiers et de grenadiers en fleurs et d’autres arbres fruitiers, des cognassiers, des cerisiers et des pommiers facilement reconnaissables, qui forment une véritable forêt. Aucun personnage n’anime ce lieu solitaire, mais, posés parmi les gazons, sur les palissades, sur les branches ou traversant le ciel, des passereaux, des pinsons, des loriots, des oiseaux de toute sorte égaient ce lieu charmant de leurs vives couleurs et de leurs gracieux ébats. L’ensemble est plein de fraîcheur et de poésie, et la facture élégante et facile de ce bel ouvrage, ainsi que son agréable coloris, le distinguent de toutes les peintures analogues que l’on pourrait citer soit à Rome, soit à Pompéi. Il était naturel d’ailleurs que la décoration d’une villa appartenant à un membre de la famille impériale fût confiée à un artiste de premier ordre, peut-être à ce Ludius qui passe pour avoir imaginé le premier la représentation de ces jardins enchantés dont la vogue fut bientôt assurée. Une inscription placée sur une peinture du même genre, trouvée dans un tombeau de la voie Latine, nous apprend que, vers la fin du Ier siècle de notre ère, des artistes grecs établis à Rome étaient renommés pour ces sortes de travaux. D’autres peintures découvertes sur le Mont Palatin, dans une habitation que M. Léon Renier a reconnu être celle de Livie[2], nous montrent également l’importance attribuée aux paysages qui servent de fond aux diverses compositions ornant les parois. Si, dans la scène d’Argus, ce fond a un aspect très indécis, en revanche; l’épisode de Polyphème et Galatée nous permet de constater de nouveau, dans les tons clairs de la mer qui étend ses eaux transparentes entre les hautes falaises, l’heureuse harmonie que forment les gris verdâtres dominant dans ce paysage avec le rouge des pieds-droits qui l’encadrent Mais le principal intérêt de ces décorations réside pour nous dans la Vue d’une rue de Rome qui se trouve dans la même salle que le Polyphème. C’est comme une percée destinée à produire l’illusion d’un vrai paysage entrevu par une fenêtre ouverte,

  1. M. Brunn a rendu compte de cette découverte dans le Bulletin de l’institut archéologique (mai et juin 1863).
  2. Les Peintures du Palatin, par MM. L. Renier et G. Perrot; Revue archéologique, années 1870 71.