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la guerre, les directeurs de ce que nous nommons aujourd’hui l’assistance publique paraient au plus pressé, c’est-à-dire à la maladie. Ils ne s’occupaient guère de la pauvreté, qui, du reste, à cette époque, était générale ; ils ne se souciaient pas de savoir si elle couchait à la belle étoile et si elle ne deviendrait pas une recrue pour les chauffeurs et les détrousseurs de route. On avait bien autre chose à faire que de continuer l’œuvre des béguines. Aux mendians, aux vagabonds, qui devenaient trop importuns, on livrait les grabats de Bicêtre ou des Madelonnettes, lorsque les aristocrates, les agens de Pitt et Cobourg y laissaient quelque place. La charité administrative pouvait agir ainsi, car, avant tout, elle fait œuvre politique et redoute « d’encourager le vagabondage et la paresse. » La charité privée a le cœur plus large et l’esprit moins scrupuleux ; dans l’infortune elle ne recherche pas la cause, vice ou malheur, elle ne voit que l’infortune ; elle ne punit pas, elle secourt ; elle espère atténuer le vice, elle s’efforce de soulager le malheur. Elle s’offre aux déshérités de la vertu, aux déshérités du sort ; elle ne se réserve pas, car elle sait que sa mission est double : en secourant un malheureux, elle rend service à un homme ; en secourant un être pervers, elle rend service à la société, qu’elle sauve du méfait qui pourrait la menacer. Aussi les hommes bienfaisans qui ont rétabli parmi nous l’antique institution de l’Hospitalité de nuit ne demandent point à celui qu’ils accueillent un certificat de bonne vie et mœurs : il est misérable, il est errant, il a droit à un lit. Si c’est un brave garçon sans ouvrage, tant mieux ! il reprendra des forces pour courir après la bonne occasion ; si c’est un vaurien, tant mieux encore ! pendant qu’il dormira sous un toit, il ne fera point de mauvais coups et les rues de Paris en seront plus tranquilles.

C’est dans le comité catholique, siégeant rue de l’Université, que l’œuvre fut ressuscitée. En 1874, on y lut un rapport sur l’Hospitalité de nuit fondée à Marseille par M. Massabo et qui fonctionne depuis le 25 décembre 1872. On fut frappé des résultats obtenus et l’on se demanda s’il ne serait pas possible de doter Paris, la ville par excellence des chercheurs de condition et des vagabonds, d’un établissement hospitalier analogue à celui, qui chaque soir, démontre son utilité aux environs de la Canebière. L’idée était née ; peu à peu elle se formula, elle mûrit et l’on décida de tout tenter pour la réaliser. Je crois bien que l’initiateur et le plus ardent à l’action fut le comte Amédée Des Cars, un membre du Jockey-Club, dont la race historique n’a manqué ni d’ambassadeurs, ni de chefs d’armée, ni de cardinaux. Son père, qui fut un des mieux méritans de la conquête d’Alger, commandait une division à la journée de Staouéli ; quant à lui, il a consacré sa vie à la