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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/892

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plus variées. Cette harmonie qu’ils poursuivaient, ils l’obtenaient tantôt par des contrastes combinés de façon que chaque partie de l’édifice fît valoir la beauté du tout, tantôt par des modulations d’un même ton. Sans avoir positivement formulé la loi des couleurs complémentaires, d’instinct ils l’avaient pressentie, et l’on pourrait citer de nombreux exemples des heureuses applications qu’ils en ont faites. Ici, sur des parois jaunes, se détachent des paysages dans lesquels dominent des tons bleus ou violets; là ce sont des verts clairs ou des gris qui s’enlèvent franchement sur le rouge des parois. Les valeurs sont généralement assorties, clair sur clair, foncé sur foncé. Presque jamais, d’ailleurs, les colorations ne prétendent reproduire celles de la nature; elles sont conventionnelles et appropriées au dessein que s’est proposé le décorateur. Malgré ce parti-pris arbitraire, le principe de l’éclaircissement graduel des valeurs à raison de l’éloignement des objets est au moins aussi scrupuleusement respecté que celui de l’amoindrissement de leurs dimensions apparentes. A mesure qu’elles s’enfoncent vers l’horizon, les montagnes passent du violet au bleu pâle, et les tons des premiers plans sont plus vigoureux que ceux des plans intermédiaires. Parfois aussi une fantaisie absolue préside à la répartition des valeurs, mais le procédé le plus souvent adopté consiste à opposer l’intensité des premiers plans à la légèreté des derniers.

Quant à cette observation consciencieuse des reflets, des lumières et des ombres qui est le charme du paysage moderne, il ne faut point la demander aux anciens, qui s’accommodent d’une vérité moyenne et un peu superficielle dans sa représentation. Jamais vous ne trouverez chez eux cette expression intime et fortement caractérisée de la nature dans laquelle tous les détails sont significatifs, profitent à l’aspect, et renforcent l’unité de l’œuvre. Le plus souvent, l’image reste vague, et les élémens pittoresques qui y entrent, parfois disparates ou même tout à fait invraisemblables, semblent associés comme au hasard. C’est bien un arbre qu’en quelques traits, avec la facilité expéditive de son pinceau, le décorateur a voulu représenter, et même, en face de ces troncs aux branchages rudimentaires et affectant la forme de coraux qu’il place au sommet des montagnes ou au bord des eaux, vous ne pouvez vous méprendre sur ses intentions. Mais quel est cet arbre? Il vous serait impossible de le spécifier. A part les cyprès ou les plus parasols dont les profils sont trop simples et trop caractérisés pour qu’on s’y trompe, vous ne retrouveriez pas dans leur feuillage ou dans leur port la physionomie particulière à chaque espèce[1]. Généralement

  1. Les arbres qui figurent dans la grande décoration de la villa de Livie à Porta prima sont presque les seuls que l’on puisse citer dont l’individualité soit assez nettement caractérisée.