son théâtre, a renouvelé Marivaux par un air de fantaisie romanesque et poétique; à son tour, M. Meilhac le renouvelle par un goût plus vif de la réalité, par un souci de la serrer de plus près pour la railler avec plus de force; et la Duchesse Martin, pour être un des moindres ouvrages de l’auteur, n’en porte pas moins sa marque.
Étonnerai-je le lecteur en disant que Mme Samary, dans le rôle de l’héroïne, est un peu plus Martin que duchesse, et que M. Worms, dans le personnage du héros, laisse désirer un peu plus de gaîté, d’abandon, et de pétulance? D’ailleurs, l’un et l’autre, ainsi qu’à l’ordinaire, se montrent excellens comédiens. M. Truffier, sous la jaquette du valet de chambre, a beaucoup plu par sa bonne humeur et ses vives allures; Mlle Kalb a plaisamment composé sa figurine de gardeuse de dindons; Mme Mulier est une Simonne à damner dix bergers en pâte tendre. J’ai gardé pour la fin M. Barré : il joue le docteur dans la perfection.
Hélas! j’ai gardé aussi pour la fin le Député de Bombignac, et je crains que le jeune auteur ne m’accuse d’avoir fait la part trop grande à celui qui devient un ancien. Est-ce ma faute si, dans ma pensée, trois actes n’ont pu prévaloir contre un seul, et si la comédie de l’ancien est plus neuve que celle du nouveau? Il se pouvait assurément que l’ouvrage de M. Bisson n’eût d’autre tort que d’être gai ; il était assuré, en ce cas, de nous compter parmi ses défenseurs. Au XVIIIe siècle déjà, bon nombre de gens étaient de glace, rue des Fossés-Saint-Germain, qui, pour la même pièce, rue Mauconseil, eussent été de feu. D’Alembert s’étonnait de « l’indulgence du public à tous les autres théâtres » et de « sa sévérité » à celui de la Comédie-Française; « dans ce dernier, il regarde les auteurs comme des hommes qui ont affiché leurs prétentions au talent et à l’esprit, et, d’après ces prétentions, il les juge à la rigueur. Partout ailleurs, il voit à peine dans les pièces qu’on lui donne un objet de critique, et il tient compte aux auteurs de leurs tentatives pour lui plaire et du peu de confiance qu’ils ont dans leurs propres forces, en cherchant à lui plaire sans prétention à ses éloges. » Ces réflexions aujourd’hui seraient plus justes encore : le préjugé sur la dignité de la Comédie-Française n’a fait que se renforcer, et les exigences du public envers elle ont renchéri. Les plus illettrés y viennent pour chicaner leur plaisir et faire profession de critiques; ils sont plus scrupuleux que des sacristains gagés sur la majesté du saint lieu. « C’est une pièce du Palais-Royal » est un jugement qui dispense de tout examen et tranche le succès par la racine : un beau soir, ces gens-là ne laisseront pas Molière rentrer dans sa maison !
Nous croyons bien que cette fâcheuse mode a empêché une partie de l’assistance de se plaire à la nouvelle pièce : on n’a pas cru devoir s’y amuser. Notons, d’ailleurs, que, depuis longtemps, Messieurs de la