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grâces exquises de l’adolescence, ni les beautés robustes de l’âge mûr. Si le génie national avait disparu de la grande peinture française au cours du XVIe siècle, il ne s’était pas laissé, cependant, conquérir tout entier par les extravagances pittoresques des Italiens accrédités auprès des Valois. L’esprit français, tout en se laissant égarer dans le domaine de l’idéal, s’était retrouvé lui-même dans les saines régions de la nature, et s’était mis, sur ce terrain, à la suite des Flamands, dont les ancêtres avaient pris domicile en France dès la fin du XVe siècle. Ces Flamands, naturalisés Français, se consacraient surtout à l’étude concrète de l’homme, à la stricte observation du modèle vivant. Ils s’étaient réfugiés dans la peinture de portraits comme dans une forteresse, sur laquelle ils avaient planté le drapeau de la France. À leur naïveté, à leur précision et à leur bonhomie natives, ils avaient ajouté une élégance et une délicatesse de goût qui nous appartenaient en propre. Il y avait donc là deux courans, non pas opposés, mais parallèles : l’un, venant du midi, violent et impétueux, menaçant de tout emporter dans son cours ; l’autre, venant du nord, bienfaisant, modéré, se mêlant avec prudence aux eaux vives de notre vieille France, comme pour ajouter quelque chose de pénétrant à leur saveur native. L’engouement public flottait, sans parti-pris, de l’un à l’autre. Les deux manières de voir, loin de se combattre, s’accommodaient entre elles : le même peintre s’y ralliait tour à tour, selon qu’il avait à représenter une figure idéale ou un simple portrait ; si bien que, dans un même tableau, telle partie aurait pu être signée des noms de Primatice ou de Niccolò dell’ Abbate, et telle autre de Corneille de Lyon ou de l’un des Clouet. C’est ainsi que la réalité vraie du portrait d’origine flamande ou allemande faisait volontiers ménage commun avec les figures de convention d’origine italienne. Le roi, la reine, les princes, les seigneurs, sans rien céder de leur goût pour l’école de Fontainebleau, se rapprochaient, à l’occasion, des peintres qui s’étaient inspirés des maîtres de Bruges et de Gand. Tous voulaient avoir leurs portraits, et les artistes qui donnaient sur ce point satisfaction à la passion du jour étaient sûrs d’arriver à la fortune. Brantôme raconte avec détails la visite de Catherine de Médicis à Corneille de Lyon, chez lequel elle trouva les portraits des principaux personnages du royaume. Les Clouet, surtout, jouissaient d’un grand crédit à la cour. Ils ne pouvaient suffire à leur clientèle. François Clouet fut comblé des faveurs royales. Les Dumoustier, de leur côté, obtinrent avec leurs crayons une vogue qui se prolongea bien au-delà du XVIe siècle. Tout cela ne nous constituait pas une véritable originalité, mais nous permettait de nous reprendre dans une certaine mesure et de nous retrouver avec quelque chose au moins de français.