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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/163

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l’autre, Bianca, selon les villes. Ce qu’il y a de certain, c’est que le seul document sur lequel s’appuie l’histoire du poison est un document vénitien, qu’on ne la trouve enregistrée que par Molin. Loin de nous l’idée de propager de telles fables ! nous connaissons trop bien cette faiblesse humaine qui consiste à chercher la tragédie et le roman partout, même alors que le fait naturel nous présente une explication suffisante. Rapprochons de cette accusation celle dont les historiens ont chargé la mémoire de Cosme. Au retour d’une partie de chasse, Jean de Médicis meurt subitement, son frère Garcias le suit de près, et leur mère, Éléonore de Tolède, cesse de vivre à quelques jours de distance. Aussitôt, la chronique s’empare du fait et l’interprète au sens tragique. Jean et Garcias se sont pris de dispute à propos d’un chevreuil que chacun prétend avoir abattu : au milieu de l’altercation, Garcias tire son couteau et frappe son frère. Cosme intervient en justicier, il tue son fils, et la duchesse Éléonore se laisse choir inanimée, tout cela pour expliquer un triple malheur que peut simplement avoir causé l’air des maremmes, spécialement pestilentiel dans la saison d’automne. Qui nous empêcherait d’en dire autant du double trépas de François et de Bianca ? Dans l’état de santé physique où, si nous nous en fions au grimoire médical cité plus haut, se trouvaient alors le grand-duc et la grande-duchesse, le poison n’était d’ailleurs pas nécessaire, l’influence paludéenne et les fatigues de tout genre étaient assez pour avoir raison de deux constitutions atteintes déjà par la maladie et surmenées. Prononçons-nous donc pour la mort naturelle, rayons le poison de nos papiers, et cependant ! ..

A Florence, on se racontait que Bianca s’était volontairement empoisonnée en comprenant son mari dans son propre suicide. Et pourquoi se disait-on cela ? Parce que Bianca souvent avait exprimé le désir de ne pas se survivre l’un à l’autre. Fallait-il que cette femme fût haïe pour qu’un pareil vœu de tendresse conjugale lui valût après sa mort une aussi odieuse imputation ! Elle était à peine sortie de ce monde que les plus abominables calomnies circulaient sur son compte, et les plus acharnés étaient, comme toujours, ceux qu’elle avait comblés de ses bienfaits, ministres, chambellans, dames du palais, — instrumens de son règne et de ses intrigues, — qui, pour se racheter de tant d’abus commis en son nom, piétinaient à l’envi sur ses restes. Ils savaient que le nouveau grand-duc n’ignorait rien des tyranniques exactions du passé et, Bianca