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plénière, qu’on se servirait aujourd’hui de la révision partielle pour arriver à la révision illimitée. M. le président du conseil espère être plus heureux cette fois, et il est vrai qu’il a déjà obtenu de la chambre un vote favorable à une révision limitée. Seulement ce n’est qu’un premier pas ; la question est maintenant de savoir ce que sera cette révision limitée, en quoi elle consistera, comment on pourra rallier le sénat à une réforme dont il doit, après tout, payer les frais. C’est là la difficulté qui ne laisse pas d’être sérieuse, d’autant plus qu’au premier vote qui a repoussé la révision illimitée, la majorité n’a point été bien triomphante. Si l’on ne se met pas d’avance d’accord sur des propositions sagement précisées, il se peut fort bien que le sénat refuse de souscrire à une révision indéfinie, menaçante, et alors qu’arriverait-il ? La stabilité des institutions aurait été mise en doute, le sénat resterait plus que jamais livré à toutes les animadversions des radicaux encouragés à de nouveaux assauts. Et remarquez que, si le sénat cède, si la révision se fait, la situation ne sera pas meilleure ; la brèche sera ouverte dans la constitution, le sénat sortira nécessairement affaibli de cette crise. Voilà le résultat d’une proposition mal conçue et d’une discussion mal engagée !

Le malheur est que le pays reste l’éternelle victime de ces expériences, d’une fausse politique qui l’atteint dans sa sécurité par la révision, qui le menace bien plus encore peut-être par cette loi de recrutement maintenant discutée et votée à une première délibération. Ici tout se réunit pour rendre plus sensibles la présomptueuse frivolité des réformateurs, l’aveuglement hébété des partis et la faiblesse d’un gouvernement qui se prête à la plus malfaisante aventure. Qu’on veuille établir le service de trois ans, soit encore ; c’est un système vraisemblablement, même sûrement des plus dangereux avec lequel on ne fera jamais une armée, — qui a du moins ses partisans, même parmi les militaires. Dans tous les cas, ceux qui l’ont voulu sérieusement ne l’ont jamais cru possible que dans certaines conditions, avec certaines garanties, et M. Gambetta qu’on invoque si souvent, M. Gambetta lui-même, déclarait d’un ton péremptoire que la réforme devait être « précédée d’une constitution des cadres inférieurs a l’abri de toute espèce de défaillance comme de toute espèce de lacune. » La première condition, pour les partisans sérieux du service de trois ans, était donc le recrutement assuré des sous-officiers, la constitution des cadres, et une autre condition aussi aujourd’hui, c’est la création d’une armée coloniale, si on ne veut pas mettre le désordre et le désarroi partout. Est-ce là ce qu’on fait ? Pas le moins du monde, on ne s’est pas même arrêté à ces préliminaires jugés jusqu’ici indispensables pour une réforme conduite avec quelque prudence. L’intérêt militaire n’est pour rien dans ces malencontreux débats d’une loi incohérente. Il s’agit avant tout de satisfaire la plus vulgaire passion d’égalité, de courber inflexiblement