Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poète entame alors le récit de guerres interminables auxquelles le XIIe siècle devait trouver plus d’agrémens que nous. Charles s’empare par ruse du château de Roussillon situé en Bourgogne, sur le mont Laçois, qui est le principal fief de Girart ; mais Girart a rassemblé une armée, et, sur le refus de Charles d’entrer en accommodement avec lui, il l’attaque à Vaubeton. Un miracle arrête la bataille : des flammes descendues du ciel brûlent le gonfanon de Charles et celui de Girart ; c’est un avertissement de Dieu, qui décide les deux rivaux à conclure la paix. Après un intervalle de sept ans, les parens, les amis de Girart ayant traîtreusement tué le comte Thierri, ennemi de sa maison, Charles en fait retomber la faute sur lui, et la guerre recommence. Elle se poursuit longtemps avec des chances diverses. A la fin, Girart est défait à la bataille de Civaux, en Poitou. Son château de Roussillon est pris par trahison, comme la première fois ; il s’en échappe à grand’peine, seul avec sa femme Berte, et ils vont se cacher dans la forêt d’Ardenne. Il avait des fautes graves à expier ; il s’était montré orgueilleux et dur pendant sa prospérité, il n’avait pas écouté les bons avis. Dans ses malheurs il voit une punition de Dieu. Éclairé par les conseils d’un sage ermite, il accepte courageusement l’humiliation que Dieu lui envoie. Le grand comte, le maître de la Bourgogne, gagne sa vie dans les bois à porter des sacs de charbon sur ses épaules, et sa femme se résigne à coudre pour les bourgeoises d’une petite ville. Leur pénitence dure vingt-deux ans. Ce temps passé, Girart retourne à Roussillon, se fait reconnaître de ses vassaux, tandis que la reine, sa belle-sœur, qui lui est restée fort attachée, obtient, par un subterfuge, sa grâce du roi. Mais à la première occasion, le roi, qui ne lui a pardonné qu’à contre-cœur, recommence la guerre. Cette fois il a mis les torts de son côté, Dieu lui est décidément contraire ; il est vaincu, blessé, fait prisonnier. Girart, instruit par le passé, use bien de sa victoire ; il s’humilie devant son suzerain, dont il est le maître, il lui rend sa liberté et lui demande respectueusement la paix qu’il pouvait lui imposer. Puis, comme il a perdu son fils unique et qu’il n’a plus d’héritier, il se décide à laisser à Dieu une partie de son héritage. Sur les conseils du comte Guintrant, qui revient de la Palestine, où il a visité les saints lieux, Berte et lui bâtissent des moûtiers et des églises, « avec tours et clochers, » où ils placent les reliques de la Madeleine, que Guintrant a rapportées d’outre-mer. C’est ainsi que la chanson guerrière finit par des scènes de paix et d’édification.

Tel est ce poème, que M. Meyer regarde comme un des plus remarquables du moyen âge. « Je voudrais, dit-il, savoir le nom de ce romancier anonyme pour l’inscrire parmi les plus illustres de