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un sacrifice, le roi vous autorise à offrir à la Grande-Bretagne la cession de l’île de Tabago, que nous avons acquise par le dernier traité de paix. Ceux qui habitent cette île sont presque tous nés dans l’empire britannique ; leurs mœurs, leurs habitudes, leur langage, leurs besoins mêmes les mettent dans une relation nécessaire avec leur ancienne patrie. Cette circonstance nous fait croire que le commerce britannique attacherait à la restitution de cette île une véritable importance. De son côté, Sa Majesté pense qu’en l’offrant à l’Angleterre, sous la réserve nécessaire du consentement des habitans eux-mêmes, elle donne à cette puissance un gage des dispositions amicales de la nation française et du désir qu’elle a d’effacer entre elle et la nation britannique toute trace des anciennes mésintelligences. »

Une entente avec l’Angleterre fondée sur la communauté des formes du gouvernement et cimentée par un traité de commerce ; la grosse difficulté des prétentions rivales sur la Belgique réglée par l’établissement dans ce pays d’une république fédérative vouée par son caractère même à la neutralité ; l’affranchissement des colonies espagnoles, l’ouverture au commerce français et anglais de ces vastes débouchés ; la paix du continent garantie et gouvernée par les deux plus puissans états de l’Europe, ce n’étaient point là des données vulgaires, ce n’étaient point non plus des visées chimériques. Ce que Dumouriez proposait pour prévenir l’épouvantable guerre de vingt-trois ans fut précisément ce que l’on imagina plus tard pour en éviter le retour. Ce sont les combinaisons qui ont prévalu dans le siècle suivant et assuré à l’Europe apaisée quelques-unes de ses plus belles années de civilisation et de prospérité. Enfin, il convient de relever dans ces projets de Dumouriez une phrase capitale qui contenait tout un programme d’avenir, et qui présente, en matière de droit des gens, la véritable application des idées de 1789 : la réserve nécessaire du consentement des habitans eux-mêmes. La France mettait cette réserve à la cession projetée d’une de ses colonies, elle la mettait aussi à ses desseins sur la Belgique.

Tandis que Dumouriez méditait et traçait à la hâte ces instructions, les événemens se précipitaient. La coalition se nouait en Allemagne, et, à Paris, chaque jour augmentait le péril de la famille royale, l’audace des anarchistes, la violence de la révolution. Le ministère laissait couler autour de lui le courant qui l’avait porté au pouvoir et qui le soulevait encore. Dumouriez n’en avait pas mesuré la puissance : c’était le vice irrémédiable de ses combinaisons politiques. Il comptait sans la tempête, c’est-à-dire sans la force même des choses qui avait fait de lui un ministre de Louis XVI. Il avait sainement jugé