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tempéramens à observer, et en y ayant égard on pourra apporter de salutaires réductions dans l’administration de la guerre sans en compromettre le bon fonctionnement. Le précepte de Coligny n’est pas moins vrai aujourd’hui que de son temps. Une armée est un monstre, et pour le mettre au monde, c’est par le ventre qu’il faut commencer. Voilà ce que ne doivent pas oublier ceux qui affectent souvent un dédain trop prononcé pour les services auxiliaires de l’armée. Tout, sous ce rapport, doit être prévu et préparé à l’avance, car on compterait vainement sur le concours que pourraient donner les réquisitions. La législation actuelle appelle sous les armes toute la population virile jusqu’à quarante ans ; elle a établi la conscription des chevaux et des voitures ; où trouverait-on une base assez large pour établir des réquisitions fructueuses, puisqu’il ne restera personne pour y obéir, puisque les moyens de transport auront disparu ? Les chemins de fer eux-mêmes étant absorbés par le service militaire, ce qui restera de la population civile aura souvent la plus grande peine à pourvoir à ses propres besoins. N’est-il pas à craindre qu’ici encore on ait dépassé la limite de ce qu’il était convenable de faire ?


IV

Tout concourt à prouver qu’un ordre très exact doit régner dans les mesures à prendre pour transporter les troupes sur les lieux où elles doivent opérer. Des dispositions mal conçues peuvent compromettre d’une manière irrémédiable le succès de la campagne. M. de Goltz pense qu’à l’avenir les guerres dureront très longtemps, à cause de la difficulté même de déplacer les masses considérables qu’il faudra mettre en mouvement. On peut opposer des raisons très fortes à cette présomption. Un état aussi violent, qui absorbera, pour les rendre improductives, toutes les forces d’un pays, ne saurait se prolonger ; la dépense, qui s’élèvera à 7 ou 8 millions par jour, épuiserait les ressources de la nation la plus riche, et celle contre laquelle se prononceraient les chances de la guerre ne trouverait plus de prêteurs ; enfin les armées elles-mêmes fondront avec une incroyable rapidité et l’épuisement mettra fin à la lutte. Les premiers résultats peuvent donc avoir une influence décisive, tant par eux-mêmes que par la prépondérance morale qu’ils donneront à l’une des parties belligérantes. M. de Goltz, trouvant bien téméraire la marche de Napoléon en 1806 entre la Saale et la frontière de la Bohême, fait cette remarque que l’on peut tout oser quand on est le plus fort pour le combat. Rien de plus vrai ; mais qui peut affirmer qu’il sera le plus fort pour le combat avant