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discuter. Dans la politique intérieure, les partis comprennent si bien de quel côté se dirigent les plus vives préoccupations des esprits qu’ils se renvoient sans cesse le reproche d’immoralité, comme le seul qui puisse toucher les hommes de bon sens et de bonne foi. La politique pure, après avoir trompé tour à tour les espérances des conservateurs et des libéraux, des monarchistes et des républicains, semble menacée de ne plus intéresser que les politiciens de profession, comme l’atteste le nombre croissant des abstentions dans toutes les élections ; mais les plus indifférens et les plus sceptiques ne peuvent se désintéresser entièrement de la morale ; on garde encore quelque chance de les émouvoir quand on s’adresse à leurs sentimens d’honnêtes gens, ou si un tel appel ne suffit pas pour réveiller l’intérêt et pour forcer les convictions, il irrite du moins ceux qui lui sont récalcitrans et il a ainsi pour effet, par les controverses mêmes qu’il suscite, de substituer des questions de morale aux questions purement politiques.

En dehors de la politique proprement dite, combien de questions de législation sont en même temps des questions de morale ! La peine de mort, le duel, le divorce, la recherche de la paternité, la protection légale de l’enfance, l’éducation morale et religieuse ! Et ces questions ne donnent pas lieu seulement à des discussions théoriques dans le parlement et dans les journaux ; ce sont tellement de vraies questions de morale pratique, qu’elles se posent dans la conscience de chacun pour quelques-uns des actes les plus importans de la vie. Quand des jurés accordent le bénéfice des circonstances atténuantes à un crime sans excuse, ce n’est pas par un excès d’indulgence pour le crime lui-même, c’est par une répugnance invincible pour la peine de mort. Si certains crimes féminins, tels que l’infanticide ou d’atroces vengeances, trouvent également, près de la plupart des jurys, grâce complète ou partielle, c’est qu’ils se lient, dans la conscience de beaucoup de jurés, à la question de la recherche de la paternité ou à celle du divorce. L’esprit de parti est sans doute pour beaucoup dans la résistance de certaines familles aux nouvelles lois scolaires ; mais l’esprit de parti n’aurait pas cherché à provoquer et à étendre cette résistance si elle ne s’appuyait, dans les consciences mêmes, sur les plus sincères et les plus respectables scrupules.

Ce sont là des cas extrêmes qui relèvent de la morale publique plutôt que de la morale privée. Dans la vie ordinaire, la plupart des actes restent sous l’empire d’une morale courante, soutenue par la force héréditaire des traditions. Il serait peu juste de mettre sur le compte de la crise actuelle les infractions qui se commettent journellement dans tous les milieux sociaux contre cette morale traditionnelle. Ces infractions ne sont pas plus nombreuses que dans