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borner à insister sur la liberté, la sûreté et le rétablissement de la dignité du roi très chrétien, points qui pourront être accordés en tout cas sans entraîner implicitement l’idée de son autorité. J’ai évité soigneusement de rien dire qui puisse nous compromettre par rapport à cette formation subite d’un état républicain ; enfin les termes employés nous laisseront toute la liberté et la facilité d’appliquer leur sens aussi bien à un avenir heureux qu’à un état de succès imparfaits et insuffisans pour l’exécution de nos vues. »

Une missive de Manstein transmit, le 28 septembre, ce manifeste à Dumouriez et lui en annonça la publication. Le manifeste prussien produisit sur Dumouriez le même effet que son mémoire avait produit sur le roi de Prusse : « Le duc de Brunswick me prend sans doute pour un bourgmestre d’Amsterdam, dit-il à l’officier qui apportait le message. Annoncez-lui que, dès ce moment, la trêve cesse et que j’en donne l’ordre devant vous. » Puis, prenant la plume, il écrivit : « Je suis affligé, vertueux Manstein, de recevoir pour unique réponse à des raisonnemens que m’inspiraient l’humanité et la raison une déclaration qui ne peut qu’irriter un peuple libre… Ce n’est pas ainsi qu’on traite avec une grande nation et qu’on dicte des lois à un peuple souverain. » Dumouriez n’avait point à dissimuler le manifeste ; il prit les devans, le fit imprimer, y joignit son second mémoire au roi de Prusse, la lettre de Manstein, sa réponse, et fit lire le tout aux soldats avec cet ordre du jour : « Voici, mes compagnons d’armes, les propositions raisonnables que j’ai faites aux Prussiens après avoir reçu d’eux des messages pour une pacification. Le duc de Brunswick m’a envoyé pour réponse un manifeste qui irritera la nation entière et augmentera le nombre des soldats. Plus de trêve, mes amis ; attaquons ces tyrans et faisons-les repentir d’être venus souiller une nation libre. » Correspondance, mémoire, manifeste et ordre du jour furent envoyés à la Convention, et Dumouriez eut soin que quelques exemplaires s’égarassent chez les Prussiens.

Ce ton péremptoire et cette fermeté de décision ne laissèrent point de leur causer de l’inquiétude. Ils trouvèrent que Dumouriez allait bien vite en besogne et que, pour le prendre de si haut, il devait se sentir en mesure d’agir avec vigueur. S’il le faisait, leur retraite était plus que compromise et pouvait se terminer en déroute. Il leur parut que le général français avait pris trop à la lettre la rhétorique du manifeste et n’en avait pas saisi toute la diplomatie. Dumouriez les avait abusés par des négociations illusoires et s’était ainsi donné le temps de recevoir ses renforts. Ils tâchèrent de lui rendre la pareille et de l’amuser à leur tour jusqu’au moment où leur retraite semblerait assurée. Le plus pressé était de prolonger la trêve, ne fût-ce