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décharge pour ses déchets, ne pourrait pas vivre si le sang ne venait le ravitailler et le débarrasser.

La circulation générale existe donc pour la nutrition des parties, des élémens et des organes : les circulations locales président à leur fonctionnement, elles règlent l’activité spéciale à chacun d’eux, l’exaltent ou la restreignent, et sont ainsi placées en quelque sorte aux sources mêmes de toute manifestation vitale. Les physiologistes ont vérifié que lorsqu’un organe entre en jeu, le cours du sang s’y accélère, et ils ont formulé cette loi que : la suractivité fonctionnelle y coïncide avec la suractivité circulatoire limitée. C’est au moment où le muscle travaille qu’il se remplit de sang et s’échauffe, et lorsque une glande se met à sécréter, on observe de même que la circulation s’y exagère et que les vaisseaux élargis permettent un afflux sanguin plus abondant ; et inversement, l’organe inactif s’anémie, devient pâle et froid, révélant ainsi l’état languissant de la circulation. Le cerveau lui-même, instrument de facultés supérieures, n’échappe pas à cette subordination : l’intelligence, la sensibilité et toutes les fonctions psychiques s’assoupissent dans l’organe anémié ; au contraire, lorsque l’activité cérébrale s’exalte, les vaisseaux s’injectent et le sang afflue avec plus d’abondance ou circule avec plus de rapidité.

Ces variations circulatoires qui surviennent dans les organes, suivant leur état d’activité ou de repos et suivant leur état normal ou pathologique, jouent le rôle le plus important dans la production des manifestations vitales. C’est la circulation locale qui domine la phénoménalité vivante. La circulation générale, telle qu’elle est connue depuis Harvey, n’exerce ici, lorsqu’on pénètre au fond des choses, qu’une influence secondaire. Si quelque mécanisme ne permettait à chaque organe de régler selon ses besoins sa circulation et, par suite, son activité, tous s’exalteraient au même moment et dans la même mesure, tous ensemble rentreraient au repos. Le moteur cardiaque, lançant dans des canaux inertes un courant toujours identique à lui-même, aurait seul le gouvernement de la vie, et toutes les parties, simultanément actives ou paresseuses, feraient de l’organisme une sorte de machine rigide absolument différente de ce qu’elle est en réalité. La notion des circulations locales y rétablit l’élasticité indispensable au jeu de cette admirable mécanique. Chaque organe, chaque élément possède sa circulation indépendante du circuit général, sa nutrition spéciale, son fonctionnement distinct de celui du voisin, son activité circulatoire et, par conséquent, son activité vitale n’est pas liée à celle de tous, mais, suivant les circonstances, à celle de tel ou tel d’entre eux ; par là se trouvent réalisées les synergies qui constituent les