Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/718

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle soulève et par l’animation qu’elle suscite dans le pays, qui peut être le commencement d’une grande crise constitutionnelle.

Le bill de réforme proposé par M. Gladstone, voté par la chambre des communes, ardemment soutenu par tous les libéraux anglais, ce bill qui crée deux millions d’électeurs de plus, finira-t-il par l’emporter ? La chambre des lords l’a jusqu’ici arrêté au passage par des votes successifs, ou du moins elle a refusé d’admettre le principe de l’extension du droit de suffrage tant qu’on ne lui présenterait pas un système de circonscriptions électorales. Les conservateurs, toujours puissans parmi les pairs, se sont vigoureusement retranchés sur ce terrain, refusant de séparer les deux questions, l’extension du droit de vote et la nouvelle distribution des districts électoraux : c’est sur ce point que la lutte s’est engagée et elle est devenue bientôt d’autant plus vive, elle est aujourd’hui d’autant plus passionnée, qu’on a cru un moment à une transaction, que les derniers votes de la chambre des lords avaient été précédés d’une négociation conciliatrice dont le secret n’a pas tardé à être divulgué. Il s’agissait de faciliter aux lords conservateurs le vote du bill en leur donnant une certaine satisfaction. Une première fois, lord Granville, au nom de M. Gladstone, avait eu des pourparlers tout confidentiels avec lord Cairns ; le ministère prenait l’engagement moral de présenter dans une prochaine session le bill complémentaire sur les circonscriptions électorales, et c’est à la suite de ces pourparlers que lord Cairns présentait un amendement qui en définitive a été repoussé. Les conservateurs de la chambre des pairs, conduits au combat par lord Salisbury, se sont refusés à cette première concession, au risque d’aller au-devant d’un conflit des plus redoutables. Depuis, pour détourner des crises extrêmes, une nouvelle tentative a été faite par lord Wemiss, un tory modéré et indépendant qui a porté le nom de lord Elcho et a été autrefois dans le gouvernement avec lord Aberdeen. Lord Wemiss, d’accord avec le ministère, proposait tout simplement de revenir à la transaction primitive, au vote du principe de la réforme, à la condition que le bill sur le remaniement des circonscriptions électorales serait présenté à la session d’automne. C’était, à la vérité, une proposition assez délicate, puisqu’il s’agissait pour les conservateurs de se déjuger à quelques jours d’intervalle, d’accepter par une délibération nouvelle et un peu irrégulière ce qu’ils avaient repoussé une première fois. La tentative a encore échoué, quoiqu’elle ait eu l’appui du gouvernement et du vieux lord Shaftesbury qui a vainement rappelé la grande crise de 1831. Le chef des conservateurs, lord Salisbury, a réussi à rallier toutes les forces de son parti contre la motion de lord Wemiss. Lord Salisbury, en se refusant depuis le commencement de ces débats à toute transaction, en excitant ses amis à une résistance désespérée, a eu visiblement une arrière-pensée, une tactique.