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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/772

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métaphysique : il s’agit simplement de la sphère pratique, du vulgaire terrain des faits, de la liberté politique, ce qui est fort différent.

Ce qui importe à ce point de vue, c’est de savoir si le catholicisme peut oui ou non s’accommoder de l’état social actuel, des mœurs et des lois sorties de l’évolution historique des trois derniers siècles. Serait-elle démontrée, l’incompatibilité des principes aurait plus de valeur pour le philosophe ou le théologien que pour l’homme politique. Ce qui importe en politique, c’est moins la compatibilité des principes que celle des résultats pratiques. Ici encore, après l’opposition des doctrines, on peut, il-est vrai, objecter l’opposition des intérêts et des traditions. Par certains côtés assurément, en dehors même de ses dogmes et de la mission divine qu’elle ne saurait abdiquer, l’église, qui a été l’autorité la plus haute du moyen âge, qui, sur les individus et les peuples, jouissait alors de pouvoirs incontestés, l’église, qui, depuis trois cents ans, s’est vu peu à peu spolier de ses droits et privilèges, de ses biens et de sa souveraineté, l’église ne semble-t-elle pas l’adversaire irréconciliable de la société civile, de la société laïque, grandie à ses dépens et enrichie de ses dépouilles ?

Mais de nouveau est-ce là le seul aspect de la question ? Nullement. Par d’autres côtés, la société moderne et l’ordre de choses issu de la révolution n’ont-ils pas, avec l’esprit du christianisme, avec les tendances manifestes de l’évangile, une incontestable affinité, si bien qu’on a pu dire que l’œuvre de la révolution n’était en quelque sorte qu’une application du christianisme, une réalisation des maximes évangéliques dans les institutions ? La noble et trop décevante devise : « Liberté, égalité, fraternité » pourrait être revendiquée par les chrétiens comme un plagiat de l’évangile. Pour les disciples du Dieu crucifié, ces mots prestigieux ont, il est vrai, un autre sens que pour les enfans du siècle. Jusque dans les concordances ou les analogies de ce genre, il est facile de signaler entre l’église et la révolution une antinomie fondamentale, antinomie qui persiste à travers la parenté des résultats pratiques ou les rencontres des conclusions, mais qui ne détruit ni cette parenté ni ces rencontres.

À remonter aux principes théoriques, il y a encore une fois opposition radicale là même où, par des chemins divers, les doctrines semblent se joindre et aboutir au même point. Le principe conscient ou latent de la révolution, le double dogme, depuis Rousseau, virtuellement professé par la plupart de ses docteurs et apologistes, c’est, au rebours de l’enseignement du christianisme, que l’homme naît bon, naturellement enclin au bien ; c’est ensuite que la raison individuelle se suffit en tout à elle-même. Certes, si l’on s’en tenait