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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/787

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qu’à la grande idée qui semblait ensevelie dans sa chute, » ne s’arrêtait qu’au bord de la révolte.

Tous deux, Lacordaire et Montalembert, avaient assisté à la ruine de l’œuvre de leur jeunesse. L’un à trente ans, l’autre à vingt-deux, ils pouvaient croire leur vie manquée et leur cause à jamais perdue. Et cependant, moins par leur propre penchant que sous la pression des circonstances, ils allaient bientôt rentrer en campagne avec le mot d’ordre de l’Avenir : Dieu et liberté, et cette fois, ils allaient rallier autour d’eux la plupart de leurs adversaires de la veille ; mais, en dépit de leur prudence et de leur succès, ils devaient, selon la remarque d’un historien catholique, « souffrir jusqu’au dernier jour du faux départ de 1830[1]. »


IV

Entre l’église et les libertés modernes, l’encyclique Mirari vos semblait creuser un fossé infranchissable. En fait, l’événement devait montrer que le fossé n’était ni si large ni si profond qu’il le paraissait. Les encycliques pontificales n’ont pas toujours le sens et la portée que nous leur prêtons. Le théologien seul en entend bien la langue, et la théologie est une science pleine de ressources. Il en a été de cette sorte de Syllabus de Grégoire XVI, comme un tiers de siècle plus tard du Syllabus de Pie IX. Les catholiques, jusque dans le réseau serré du dogme, gardent une faculté que l’infaillibilité du pape ne leur a pas enlevée, la faculté d’interprétation, sauf soumission à l’église. Cette liberté, le saint-siège, satisfait « d’avoir proclamé les principes, » en laisse d’habitude user les fidèles, dans le domaine politico-ecclésiastique du moins. Si l’encyclique Mirari vos condamnait les libertés modernes, spécialement la liberté des cultes et la liberté de la presse, les catholiques enclins au libéralisme allaient bientôt trouver que les foudres du Vatican n’atteignaient pas la sphère politique positive, qu’elles éclataient dans la haute et sereine région des idées théoriques. Ce que, d’après eux, l’église refusait d’admettre sous Grégoire XVI, en 1832, comme plus tard sous Pie IX, avec l’encyclique de 1864, c’est que ces libertés modernes, que la liberté des cultes et de la presse notamment, fussent un droit et un bien en soi ; mais rien ne défend de les considérer comme la conséquence inévitable d’un certain état social, ni de les accepter et de les défendre à ce titre.

Cette distinction de l’absolu et du relatif, ou, pour parler le langage de l’école, de la thèse et de l’hypothèse (distinction qu’en un

  1. M. Thoreau-Dangin, Histoire de la monarchie de juillet.