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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/796

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martyrs parmi les victimes du fanatisme irréligieux et de l’aveugle férocité des foules incrédules. Cela ne les a pas empêchés de voir, en 1880, leurs couvens et leurs collèges fermés en vertu de lois que cinquante ans de tolérance publique pouvaient faire croire surannées, ni d’être violemment dispersés au nom d’un gouvernement dont, à l’instar de leur restaurateur, ils admettaient loyalement le principe et qu’on eût cru intéressé à laisser circuler sous l’habit de Saint-Dominique un souffle libéral dans l’église. Il est vrai que, si depuis trente ans, tout le clergé eût partagé les sentimens et témoigné du même esprit que les héritiers de Lacordaire, la soutane noire ou blanche n’eût peut-être pas excité les mêmes fureurs chez un peuple en démence, et l’on n’eût peut-être pas vu les pacifiques habitans des abbayes de la Trappe ou de Solesme privés de la liberté de jeûner en commun, de garder le silence sous les froides arcades de leurs cloîtres, ou de se relever de nuit pour psalmodier ensemble au milieu des ténèbres des cantiques en langue morte.

Le procès de la liberté monastique, Lacordaire l’avait, sous la monarchie de juillet, gagné devant l’opinion, moins par son éloquence et sa résolution que par son libéralisme notoire, que par son adhésion publique et répétée aux principes de la société moderne[1]. La liberté des associations religieuses ainsi reconquise, les catholiques libéraux, ou ceux qu’on devait plus tard désigner ainsi, étaient loin de la réclamer uniquement pour leurs amis. Ils la revendiquaient pour tous, sans en excepter l’ordre qui passait pour le moins favorable à leurs idées et parmi lequel ils étaient exposés à rencontrer le plus d’adversaires. Les jésuites français ne se séparaient pas, il est vrai, des autres catholiques et ne répudiaient ni le concours ni les doctrines des « libéraux. » — « Nous servions tous deux la liberté chrétienne sous le drapeau de la liberté publique, a dit du père de Ravignan le père Lacordaire dans sa notice sur son éloquent émule. C’était comme citoyen, au nom de la charte et de la liberté de conscience que Ravignan, dans un écrit public, réclamait le droit d’être et de se dire jésuite. Lorsque, en 1844, au plus fort de la campagne pour la liberté de l’enseignement, les universitaires, assiégés par les ennemis du monopole, imaginèrent pour rompre les lignes d’investissement une diversion contre les jésuites, Montalembert et ses amis, loin d’abandonner ces alliés compromettans, mirent à les défendre plus de chaleur et d’opiniâtreté que l’épiscopat et que la cour même de Rome[2]. Comme c’était au

  1. Voyez son Mémoire pour le rétablissement des frères prêcheurs.
  2. Voyez la Vie de Monseigneur Dupanloup, par l’abbé Lagrange, t. Ier, p. 426, et les discours de Montalembert à la chambre des pairs, par exemple le 8 mai 1844.