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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/808

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Dumouriez[1],.. nous serions assez forts pour écraser l’Angleterre, surtout en intéressant les États-Unis d’Amérique au soutien de nos colonies et en exécutant un superbe projet du général Miranda. » Miranda était né à Caracas, il servait dans l’armée de Dumouriez, il rêvait la liberté de sa patrie. « Revoyez mon instruction à l’ancien évêque d’Autun, concluait Dumouriez, et vous y verrez un plan de négociation avec l’Angleterre… »

Cette négociation, sur laquelle il avait fait naguère tant de fond, avait échoué depuis longtemps et radicalement. Dans le temps même où il songeait à la renouer, l’ancien évêque d’Autun employait à méditer sur les causes de son échec les loisirs que lui laissait son ambassade de Londres. Depuis la captivité de Louis XVI, il n’y avait plus de relations officielles entre les deux états ; les membres de l’opposition eux-mêmes, qui se sentaient compromis, abandonnaient les envoyés français. Un courant d’opinion, qui allait devenir irrésistible, entraînait les Anglais contre la république. « Le 10 août a du nécessairement changer notre position, écrivait Talleyrand[2] ; il a peut-être sauvé l’indépendance et la liberté françaises ; il a du moins écarté et puni des traîtres ; mais il nous a paralysés. Dès ce moment, il n’est plus possible de répondre des événemens ; il faut agir sur des bases nouvelles, ou plutôt, en s’abstenant d’agir, il faut se borner à surveiller et à prévenir les coups qui pourraient nous être portés de ce côté. » Comme il ne pouvait exercer d’action sur les Anglais, il s’efforçait de mieux éclairer ses concitoyens sur les dangers auxquels les exposait la politique de propagande armée, de conquête et de révolution. Il précisa et motiva ses idées sur la grande crise qui commençait. Le rôle considérable qu’il joua en 1814 à Vienne et en 1830 à Londres, donne un intérêt historique aux vues qu’il développait en 1792. Elles forment le lien entre les hommes en apparence si divers que l’on a vus se succéder en lui sous le même visage et sous le même nom[3]. Cette méditation politique est datée du 25 novembre et intitulée : Mémoire sur les rapports actuels de la France avec les autres états de l’Europe.

Selon Talleyrand, ce serait fausser l’esprit de la révolution que d’adapter au régime nouveau les traditions de conquête, les idées de « primatie » qui étaient celles du régime ancien. La France républicaine ne peut entrer dans ces alliances d’arrondissement et de partage, « arrangement entre des maîtres, conjuration contre des

  1. A Lebrun, 30 novembre 1792.
  2. Mémoire de Talleyrand sur sa mission.
  3. Voir la Correspondance du prince de Talleyrand et de Louis XVIII, publiée par M. Pallain.