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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/833

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s’en étonner, de plus grands et de meilleurs que lui s’y sont trompés. Mais que ce roué rompu aux manèges des vieilles cours se soit fait des illusions si gratuites sur les intentions des coalisés, qu’il ait cru sérieusement les gagner à ses entreprises, voilà ce qui serait inexplicable chez lui si la vanité n’expliquait tous les aveuglemens. En 1792, les puissances avaient eu un instant le dessein de sauver Louis XVI, de restaurer l’ancien régime et d’écraser la révolution : elles avaient échoué. « Elles avaient essayé, comme le disait très bien Mercy, de rétablir un ordre de choses détruit sans retour et de détruire des choses indestructibles. » Elles n’étaient pas de taille à faire longtemps la guerre « pour une idée. » L’expérience les avait dégoûtées des chimères ; elles ne songeaient désormais ni à relever le trône ni même à délivrer la reine et le dauphin. Elles se proposaient tout simplement de réduire les Français à l’impuissance et de se payer de leurs frais en démembrant la France et la Pologne. Dumouriez aurait dû le prévoir ; les alliés ne tardèrent pas à le lui faire entendre.

Le prince de Cobourg l’avait reçu avec égard. Malgré la casuistique de Mack, il prenait au sérieux les promesses qu’il avait faites et l’engagement d’honneur qu’il venait de contracter par son manifeste. Une conférence de généraux et de plénipotentiaires devait se réunir à Anvers pour arrêter le plan de campagne. Cobourg s’y rendait avec Mack ; ils emmenèrent le général Valence pour qu’il donnât aux alliés des explications sur les projets de Dumouriez. La réunion eut lieu le 8 avril. Cobourg fit connaître ses négociations et lut son manifeste. Cette pièce, dit un témoin, fut accueillie par « un tocsin général d’indignation[1]. » Cobourg en était consterné. « Je ne puis cacher, écrivait-il deux jours après à l’empereur, que je fus surpris des sentimens que je découvris à cette occasion. N’étant aucunement versé dans les mystères de la politique et le secret des cabinets, j’avais cru jusqu’à présent que le vœu des puissances coalisées était de rétablir en France la monarchie, l’ordre et la paix en Europe, de terminer cette guerre d’une manière prompte et honorable pour mettre fin à tant de convulsions et de malheurs, attacher par là les peuples à leurs souverains et les préserver du fléau terrible de l’anarchie et des révolutions. Je trouvai dans les conférences d’Anvers que je m’étais trompé. J’y vis clairement que chacun ne pensait qu’à soi et qu’on avait beaucoup moins en vue l’intérêt général que des intérêts particuliers. »

La conférence exigea que Cobourg se rétractât ouvertement et reprît sa parole. Quant à Valence, elle refusa de le recevoir. Ce

  1. Rapport du comte de Stahremberg, 12 avril 1793. Vivenot III.