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— Je ne sais pas les tisser, me dit-elle; seulement, je te promets d’avoir ici demain une ouvrière qui t’enseignera.

Cette fois, je puis avoir confiance dans une promesse sérieuse.

Nous nouons, en prenant le café, la plus aimable amitié, et le reste du jour se passe, calme et charmant, dans la douce sérénité de ce joli intérieur paisible, de cette cour aux arcades élégantes avec le ciel bleu pour couverture, de cette harmonie complète entre le cadre de la demeure orientale et la vie qui s’y déroule : Inshallah! demain, j’apprendrai ici à tisser les kerzias.

Il se fait tard. Je prends congé de ma vieille amie mauresque, chez qui le hasard m’a fait si heureusement échouer après tant de labeurs. A la porte, je rencontre Kéra, la négresse :

— Pourquoi n’es-tu pas venue au rendez-vous? pourquoi ne m’as-tu pas amenée ici tout de suite ? pourquoi ne t’ai-je pas vue ce matin? — Et elle de me répondre tout tranquillement : — J’avais un peu mal à la tête, vois-tu, madame!..


III.


Tizi-Ouzou, mardi 12 février.

Nous longions il y a quelque temps les contreforts extérieurs du Djurdjura, ce grand massif de montagnes rocheuses, au nom sauvage, qui est comme le rempart de la grande Kabylie. Nous avons même couché presque à ses pieds dans le village d’Akbou, ou plutôt nous avons failli n’y pouvoir coucher, arrivant tard et ayant mille peines à trouver le gîte et le couvert, dans une auberge abandonnée l’hiver et tenue par une hôtesse très peu courtoise. De Bougie au point de rencontre de la grand’route qui relie Sétif à Alger, il y a une longue journée et demie de voiture, coupée par l’arrêt de la nuit à Akbou, avant de rejoindre la diligence poudreuse qui s’arrête pour relayer aux « Beni-Mansour. » Mais nous n’avions regretté ni la peine, ni le froid, ni le misérable souper de l’hôtellerie. La route depuis Bougie est charmante, suivant avec des aspects variés à l’infini la rivière du Sahel et serpentant entre les frontières élevées de la Haute et de la Basse-Kabylie. De la colline où est perché Akbou, au soleil levant, tous les pics neigeux du Djurdjura, dorés ou rosés, s’étaient découverts étincelans sous la froide rosée du matin.

Nous étions arrivés aux « Beni-Mansour, » à l’heure réglementaire, mais, par une habitude fréquente en Algérie, la voiture publique se trouvait de quatre à cinq heures en retard. Après avoir causé avec l’hôtesse marseillaise du misérable bouge où l’on relaie et