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Quand arrivait sa fête, ce n’était que fleurs fraîches, cadeaux précieux, complimens et petits vers. Il remerciait tout ravi, il oubliait que dans cette vallée de lamentations, loin de célébrer l’anniversaire de notre naissance comme un jour de fête, il faut le pleurer comme un jour de deuil.

Il vantait à ses disciples le bonheur de la vieillesse, délivrée de ce tourment d’amour qui assombrit nos jeunes années et les couvre d’un voile de mélancolie. Il s’était efforcé de se prémunir contre le danger : le Feminam cave brillait dans son esprit en lettres flamboyantes. Dès sa tendre jeunesse, une intuition précoce lui dictait cette pensée : « Les tentations de la sensualité, considère-les en souriant comme la société embûche qu’un mauvais génie trame contre ton repos. » Relevant cette inscription de la petite maison de Pompéi : HEIG HABITAT FELICITAS : « Combien, remarque-t-il, elle est attrayante pour celui qui entre ! mais combien ironique pour celui qui sort ! » Il n’était point dupe, cela ne l’empêcha point d’être victime. Il aspirait à l’ascétisme d’un saint Bruno et d’un saint François d’Assise, mais il avait le tempérament d’un Brigham Young et d’un Auguste Le Fort, et jamais philosophe ne donna plus de coups de canif à un système qui ne vise à rien moins qu’à l’extinction du monde par la virginité volontaire. Un jour, à Weimar, encore adolescent, il fut saisi de tels transports à la vue d’une actrice plus âgée que lui de dix ans, qu’il déclarait à sa mère qu’il l’épouserait, quand bien même il la trouverait cassant des cailloux sur la route. Une affaire galante, à Dresde, le mit dans un grand embarras. En Italie, non content d’admirer le beau, il eut encore maille à partir avec les belles. Aussi saluait-il la vieillesse qui venait l’affranchir de cette instructive, mais affligeante corvée. Les femmes, désormais, ces officines de déboires et de discordes, le laissaient indifférent ; même il les trouvait toutes laides, sans exception aucune. À quoi tient leur beauté ? À l’illusion fragile de notre désir : « Vous dites, mon digne ami, écrit-il à Frauenstædt, vous dites qu’une jeune femme accomplie est plus belle qu’un homme accompli. Vous confessez par là votre instinct avec une naïveté extraordinaire : tous les vrais connaisseurs de la beauté souriront ou se moqueront de vous. Les choses ne se passent pas autrement pour l’espèce humaine que pour toutes les autres espèces animales, pour le lion, le cerf, le paon, le faisan, etc. Attendez d’être à mon âge et vous verrez quelle impression vous laisseront ces petites personnes… »

Il n’avait pas non plus d’illusions sur la gloire : « La gloire est une existence dans la tête des autres, c’est-à-dire sur un misérable théâtre, et le bonheur qu’elle procure n’est que chimère : la société la plus mêlée se trouve réunie dans son temple, soldats, ministres,