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REVUE DRAMATIQUE

Comédie-Française : les Caprices de Marianne.

« Pourquoi m’as-tu donné à lire tant de romans et de contes de fées ? dit la princesse Elsbeth à sa gouvernante dans la prison de Fantasio ; pourquoi as-tu semé dans ma pensée tant de fleurs étranges et mystérieuses ? » Notre génération, à coup sûr, n’interrogera pas de la sorte les auteurs dramatiques qui la gouvernent ; elle serait mal venue à leur faire ce reproche. Le romanesque, — à moins que l’invraisemblable, quel qu’il soit, ne prétende à ce titre, — est banni de la scène, et je ne vois guère que le roman d’où l’on prenne plus de soin de l’exclure. Nos héros, des ingénieurs, donnent aux affaires de leur âme l’intervalle de deux conseils d’administration, et leur conduite en amour est de la mathématique appliquée ; nos héroïnes, dociles à leur père et mère en vertu de l’article 372 du code civil, obéissent à leur mari en vertu de l’article 213, jusqu’à ce qu’elles le trompent pour braver l’article 321 du code pénal. Que viendraient faire les fées, ces ouvrières de la fantaisie, dans ce théâtre de la loi ? Elles sont des personnes de l’ancien régime, qui s’évanouissent devant le droit nouveau. Logique moralisante, voilà le non ! de l’architecte à qui nos constructions dramatiques font tant d’honneur ; ce n’est pas dans la forêt des Ardennes ni comme il vous plaira, mais dans des chantiers plus proches et selon des formules certaines, que sont taillés les matériaux solides de ces charpentes bien ajustées. A l’abri de ces édifices, on ne sème dans notre pensée aucune « fleur étrange ni mystérieuse ; » on essaie plutôt d’y planter des légumes ou quelque chose qui en ait l’air : morale de théâtre, navets de carton. Ce n’est pas là de quoi nous entêter et nous faire songer ; nous ne courons pas les beaux risques de la princesse Elsbeth. Pour une fois que nous serions invités dans les parterres où elle promène sa rêverie, faudrait-il nous effrayer ? Non, sans doute : assez de maraîchers veilleraient pour nous rappeler bientôt sur leur champ. Mais la rareté de l’excursion, selon le caractère des gens,