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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/946

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d’Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée : n’est-ce pas la morale de toutes les honnêtes et spirituelles femmes de tous les temps et de toutes les contrées ?

Cependant le messager de Cœlio, Octave, est de bonne mine, gai, hardi ; en outre, il fleure ce parfum de mauvais sujet qui chatouille agréablement les narines les mieux intentionnées du monde. Curiosité du fruit défendu, charité qui s’intéresse au rachat d’un pécheur, amour-propre enclin aux représailles sur le camp ennemi, orgueil blessé par un respect qui ressemble au dédain, combien de puissances bonnes et mauvaises poussent les Mariannes vers les Octaves ! Ajoutez que, juste au moment où ces puissances mettent l’imagination de la jeune femme en branle, le mari imbécile vient la quereller sur les amans qu’elle n’a pas : faut-il expliquer davantage le caprice d’en avoir un ? « Cœlio ou tout autre, peu m’importe ! .. » commence-t-elle par dire. Puis bientôt : « Cœlio me déplaît, je ne veux pas de lui. Parlez-moi de quelque autre, de qui vous voudrez. » Ce n’est pas pour lui que plaide Octave, et c’est pour lui qu’il gagne la cause : une telle indifférence, en effet, n’inspire-t-elle pas la gageure d’en venir à bout ? Admettez enfin qu’une petite pointe de perversité aiguillonne l’amour : quelle revanche meilleure sur le rebelle que de l’humilier et de le confondre au point de lui faire trahir son ami ? Marianne, pour si peu, est-elle diabolique et hors nature ? Il n’est pas besoin de l’évoquer de l’enfer : c’est un de ces démons dont la terre est peuplée. Celles-là seulement, parmi les héroïnes de théâtre, seront-elles naturelles et humaines qui avertissent le public par leur première phrase, ou par la couleur blonde ou brune de leur perruque, qu’elles sont bonnes ou méchantes, et qu’elles jurent de le rester ? Notre psychologie se réduit-elle à démêler ces nuances ? Faut-il être si modeste ? Mais non ! quelle utilité de faire l’âne ? MM. les directeurs de théâtre nous donnèrent toujours assez de son, — j’entends assez de comédies et de drames où l’on voit clair sans y regarder.

Qu’on dise, à présent, que Marianne est une esquisse, à la bonne heure ! Tel trait de son caractère, voire même l’ensemble du dessin pourrait être marqué plus fortement ; Musset ne s’était pas appliqué à composer un tableau qu’il voulût achever. Son frère même rapporte qu’il écrivit ces deux actes « avec un entrain juvénile, sans aucun plan : la logique des sentimens en tenait lieu. » Et telle était l’étourderie ou, pour mieux dire, la sincérité de l’auteur, qu’après le couplet où Marianne reproche à Octave d’avoir le cœur moins délicat que les lèvres, il resta court et ne sut que répondre : il était décontenancé tout le premier par. la vigueur du raisonnement. Il en ressentit quelque dépit et se morigéna : « Il serait incroyable que je fusse battu par cette petite prude ! » Il ramassa ses forces, et bientôt il lança la réplique d’Octave : « Combien de temps pensez-vous qu’il faille faire la cour à la bouteille