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partis réactionnaires et des partis radicaux ? Tant que la discorde sera dans les esprits, on ne pourra espérer que la paix soit dans les assemblées et que les gouvernemens aient pour unique préoccupation le progrès intellectuel, moral ou économique de la nation. ils en sont réduits par la latte pour l’existence à remettre sans cesse au lendemain les réformes philosophiquement justes et utiles : prima vivere, deinde philosophari.

Les philosophes n’en doivent pas moins continuer de montrer le but à atteindre, ne fût-ce que pour convaincre les esprits absolus, si nombreux en France, de ce qu’il y a de relatif dans toutes les expériences du suffrage universel, de ce qu’il y a d’imparfait et d’irrationnel dans ce monopole des majorités dont l’école de Rousseau fait un dogme, dans cette aristocratie du plus grand nombre que le radicalisme confond avec la vraie démocratie.

Quand la pacification relative des esprits sera atteinte, quand il n’y aura plus de partis anticonstitutionnels et révolutionnaires, quand l’exécutif sera aussi rendu moins dépendant du législatif, quand un ministère ne se croira plus obligé de donner sa démission devant un seul vote d’une seule chambre, mais seulement devant le vote concordant des deux chambres ou devant le vote réitéré d’une seule ; enfin, quand certains ministères où l’administration l’emporte sur la politique seront soustraits aux fluctuations des parlemens, alors ceux-ci pourront redevenir des assemblées vraiment délibérantes, cherchant avec sincérité le vrai et le juste ; alors aussi la représentation proportionnelle des partis sera nécessaire. Dès aujourd’hui, cette proportionnalité serait désirable, praticable dans les conseils municipaux, surtout à Paris, et elle ne pourrait, par l’intermédiaire des conseils municipaux, qu’avoir une heureuse influence sur la composition du sénat. Dans la chambre haute plus qu’ailleurs, il importe, selon nous, d’assurer une représentation équitable des minorités pour servir de contrepoids au privilège inévitable de la majorité dans l’autre chambre[1].

  1. Par malheur, si grande est aujourd’hui la tendance à rendre tout uniforme, sans tenir compte des circonstances ni de la qualité des électeurs, qu’on assimile l’électorat politique et l’électorat municipal. Les deux sont cependant bien distincts. L’émigration des campagnes dans les grandes villes va croissant ; comment s’imaginer que cette peuplade d’immigrans qui vient chercher du travail dans une ville prenne en grand souci la prospérité matérielle et la grandeur morale de la cité ? Tantôt elle ne voit que ses intérêts personnels et de classe, tantôt elle ne se préoccupe que de réaliser un programme politique ou social. La cité n’est plus qu’un instrument ; on ignore ou on sacrifie ses intérêts. Paris n’est plus aux vrais Parisiens, il est aux nomades qui l’envahissent. Le droit d’électeur municipal ne devrait s’accorder qu’après un séjour assez prolongé pour que le nouveau-venu fût vraiment un citoyen de la commune, capable de s’intéresser à ses affaires, de les connaître, et de connaître aussi les hommes dignes de la représenter.