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en outre, la chance d’être soutenus par les troupes, qui ne manqueront pas, surtout si nous les avons prévenues à l’avance, d’accourir. » Louis XIV avait envoyé dans le Cotentin, au mois d’avril 1692, douze bataillons irlandais, neuf bataillons français, douze escadrons de cavalerie et de dragons. Ces troupes, qui devaient passer en Angleterre avec le roi Jacques et le maréchal de Bellefonds, n’ont pas empêché le désastre de la Hougue ; elles y ont assisté « comme à un feu d’artifice tiré pour une conquête du roi. » Le conseil byzantin mérite donc réflexion : peut-être était-il de saison au Ve siècle ; au IXe, l’empereur Léon ouvrait déjà un avis différent. « Évitez, disait-il, de donner bataille près de vos propres côtes ; le soldat montre moins de fermeté et de résolution quand il sent près de lui un asile assuré. Ne lui offrez pas la tentation d’aller planter sa pique à terre. » Nous dirions aujourd’hui : « de couper ses câbles. » La chose s’est vue souvent, et tel combat glorieux que je pourrais citer aurait eu très probablement une issue plus favorable encore si quelques matelots effrayés n’avaient, dans leur panique, coupé, à l’insu du capitaine, les amarres du vaisseau sur la bitte. Les chefs les plus intrépides, entraînés par l’émotion générale, sont, dans ces occasions, exposés à perdre eux-mêmes leur sang-froid.

Il est bien certain que les vaisseaux de Tourville ne se défendirent plus avec le même héroïsme quand on les eut mouillés dans la baie de la Hougue. Après un conseil tenu en présence du roi Jacques et du maréchal de Bellefonds, Tourville prit le parti de les échouer. Les ennemis, qui n’avaient jusque-là osé s’en approcher « à cause de leur bonne contenance, » ne les voient pas plus tôt sur la côte qu’ils commencent l’attaque. Du mouillage extérieur qu’ils occupent, ils lâchent dans la baie leurs brûlots et les font soutenir par deux cents chaloupes. « À partir de ce moment, écrivait à M. de Pontchartrain l’intendant-général Nicolas-Joseph Foucault, ce fut une confusion à faire pitié ; personne ne donna ordre à rien… Le roi est bien à plaindre d’être si mal servi ! » Le résultat final de l’audacieuse entreprise des Anglais fut l’incendie de douze vaisseaux de guerre et d’un bâtiment-hôpital. Cent vingt ans plus tard, les brûlots de Cochrane renouvelleront cette attaque hasardeuse sur la rade de l’île d’Aix ; ils la renouvelleront avec un succès non moins funeste à nos armes. On se méfie trop des flottilles ; il faudra les exploits de quelque capitaine entreprenant pour qu’on apprenne enfin ce que des chaloupes bien conduites sont capables de faire. Dans la matinée désastreuse qui suivit la journée si glorieuse de la Hougue, « lorsque les ennemis eurent mis le feu à six vaisseaux, ils s’approchèrent si près du rivage que le cheval du bailli de Montebourg, qui était aux côtés