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d’accommoder, pour telle ou telle fin, la matière électorale. Au demeurant, sectionné ou non, avec le vote uninominal comme avec le scrutin de liste, le suffrage tel qu’il existe à Paris ne peut aboutir qu’à des élections politiques ; il est incapable de produire une élection municipale, au vrai sens du mot.

Ce n’est point porter atteinte au suffrage universel que de rechercher le mode d’application qui convient le mieux, selon les circonstances et les lieux où il est appelé à s’exprimer, selon le caractère des décisions qui lui sont demandées. Aussi bien les partisans de ce principe politique sont loin de s’accorder pour les points les plus essentiels. Indépendamment du débat toujours ouvert sur le scrutin uninominal et le scrutin de liste, on discute sur la question de savoir si le suffrage doit être direct ou indirect, sur la durée plus ou moins longue du mandat, sur le plébiscite. Il est donc permis de concevoir que le suffrage universel ne soit pas organisé de la même façon pour les élections municipales et pour les élections législatives ; d’un autre côté, il est aisé de démontrer qu’à Paris spécialement, les élémens du corps électoral sont incapables de fournir une représentation exacte des intérêts de la commune.

Aux États-Unis, l’opinion publique s’est émue, depuis plusieurs années déjà, de la mauvaise administration des principales villes, et elle attribue cet état de choses à ce que les conseils chargés de gérer les affaires communales sont encombrés de « politiciens, » qui courtisent et exploitent le suffrage universel. Les impôts sont devenus écrasans, les dettes n’ont cessé de s’accroître et elles atteignent un total excessif. Les politiciens, qui savent que leur règne sera court et que leur popularité, battue en brèche par leurs pareils du parti adverse, sera éphémère, gèrent en prodigues les fonds de la commune, surtaxent la propriété et le capital, uniquement soucieux de complaire à la multitude qui les a élus. Aussi d’éminens publicistes, très démocrates, n’hésitent-ils pas à dénoncer l’organisation vicieuse d’un système de vote qui produit de tels résultats, et la révision du suffrage universel, en matière municipale, est-elle à l’ordre du jour. Il y a même eu, à ce sujet, des enquêtes ordonnées dans plusieurs états de l’Union, notamment dans l’état de New-York. L’argument sur lequel on s’appuie pour justifier les réformes consiste dans la distinction qui existe entre les affaires de l’état et les affaires de la commune. Parmi les propositions figurent non-seulement des combinaisons plus ou moins ingénieuses pour garantir aux contribuables une part de vote qui corresponde aux charges qu’ils supportent, mais encore des projets non déguisés qui tendent à établir certaines conditions de cens. Voilà ce qui se discute ouvertement aux États-Unis. Dans d’autres pays libres, en Angleterre, en Italie, dans les colonies australiennes,