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aujourd’hui ; les conflits donnent lieu à des chocs violens et meurtriers, et quand c’est le plus faible qui les provoque, il risque de s’en trouver mal. C’est toujours la vieille histoire :


Le pot de fer nageait auprès du pot de terre,
L’un en vaisseau marchand, l’autre en vaisseau de guerre ;
L’un n’appréhendait rien, l’autre avait de l’effroi,
Et tous deux savaient bien pourquoi.


Lord Salisbury connaît son pays et son temps, et il désespère de résister à la marée montante de la démocratie. Il y a trois semaines, dans le grand meeting de Manchester, où les délégués de cent soixante quatorze associations du comté de Lancastre lui remirent des adresses approuvant sa conduite, il déclara que si le gouvernement venait à donner sa démission, il ne serait pas difficile de le remplacer, et que cela ne ferait que hâter l’adoption du bill de réforme électorale et du bill relatif à la nouvelle distribution des collèges. Les deux millions de nouveaux électeurs dont le sort est en suspens peuvent être bien tranquilles. Si le marquis de Salisbury arrivait au pouvoir, il s’empresserait de leur conférer le droit de vote, et l’Angleterre verrait s’accomplir sous les auspices du parti tory une réforme décisive qui ne lui donne pas encore le suffrage universel, mais qui le lui promet. Par les modifications successives apportées au système électoral, la chambre des communes a changé de caractère. Elle ne représente plus des intérêts privilégiés, elle représente la nation, la volonté nationale, qui demain peut-être s’appellera la souveraineté du peuple. Comment la chambre des lords se flatterait-elle encore de balancer sa puissance, de lui servir de juste contrepoids ?

Il est douteux qu’un sénat électif ait le droit de s’employer à renverser un ministère qui possède une majorité incontestée dans la chambre des députés. Mais on ne peut douter qu’une chambre composée comme la chambre des lords ne commette une grave imprudence en posant des questions de cabinet et en recourant pour les résoudre à la méthode plébiscitaire. C’est un rôle qu’il faut laisser aux tribuns, et on n’est pas tribun par droit d’aînesse, sans compter qu’il est dangereux de provoquer les grandes discussions quand on est soi-même fort discutable. Jamais occasion meilleure n’a été offerte aux radicaux de répéter leurs vieilles litanies, de crier aux lords : « Qui êtes-vous ? qui vous a nommés ? Clear the way, mylords : Videz les lieux, mes seigneurs. » Dans le discours qu’il a prononcé à Manchester, le marquis de Salisbury demandait au peuple de s’unir aux lords pour résister à un ministère qui n’ose pas soumettre ses actes au jugement du pays. Lord Salisbury se charge-t-il de soumettre au