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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/235

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Tien-Tsin. Il ne considère pas comme une nécessité constitutionnelle de convoquer les chambres pour leur demander de nouveaux pouvoirs. Ce n’est pas la première fois que M. Jules Ferry accepte « allègrement, » selon son expression, la responsabilité des plus sérieuses résolutions et se passe du parlement. M. le président du conseil a prouvé déjà assez souvent qu’il avait l’art d’interpréter les votes parlementaires et de s’en servir pour toutes les entreprises. En Tunisie, il allait réprimer les déprédations d’une peuplade inconnue qu’on n’a plus retrouvée ; à Madagascar, il est allé faire une œuvre de police, comme il l’a dit un jour ; en Chine, il négocie. Il a des euphémismes pour toutes les situations.

Soit ; le parlement réuni extraordinairement ne simplifierait rien sans doute aujourd’hui, et le chef de notre cabinet peut se croire investi de pouvoirs suffisans pour défendre la dignité et les intérêts du pays. Nous ne nous plaindrions pas qu’il y eût au gouvernement un homme prêt à accepter toutes les responsabilités, résolu dans l’action comme dans le conseil, si avec cette apparence de hardiesse il y avait l’esprit de conduite, la maturité, la prévoyance ; nous ne nous plaindrions même pas qu’on cherchât dans une politique coloniale nouvelle une extension de puissance pour la France, si l’on savait un peu plus ce qu’on veut faire, si l’on ne semblait pas parfois se laisser aller à l’aventure pour conquérir quelques succès d’ostentation et de circonstance. Malheureusement c’est là la question. M. le président du conseil, en entreprenant tout à la fois, ne sait pas visiblement toujours ce qu’il veut. Il va au hasard, s’engageant lui-même par une sorte d’ambition agitée et incohérente, engageant le parlement par des subterfuges, et si les affaires du Tonkin, de la Chine sont arrivées au point où elles sont aujourd’hui, si elles se sont si étrangement compliquées en chemin, c’est qu’on est parti sans avoir rien prévu, rien calculé, sans s’être rendu compte des difficultés, des conditions militaires et diplomatiques d’une entreprise de ce genre. Il n’est point douteux, en effet, que si dès l’origine on s’était fixé un but, si on avait envoyé sans marchander les forces nécessaires, on aurait prévenu au moins en grande partie les périls et les embarras avec lesquels on a en ce moment à se débattre ; on aurait promptement dominé la situation au Tonkin et on aurait découragé la Chine de ses résistances, de ses velléités belliqueuses, en lui faisant sentir l’ascendant d’une politique sérieusement décidée à aller jusqu’au bout. Au lieu d’agir comme on le devait, on a fait tout ce qu’il fallait pour laisser grossir les difficultés, on s’est engagé par degrés et avec indécision, par une série de résolutions décousues. On a laissé pendant des mois sans secours un chef militaire qui a péri victime de son héroïsme dans un combat obscur, et pour le venger, pour venger l’insulte faite au drapeau, on a envoyé