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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/303

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repentait et se faisait mille reproches amers de n’avoir pas su jouir de ce temps de vie commune comme elle l’aurait dû. On finit par être touché de ces plaintes, qui paraissent avoir été sincères et qui sont le retour d’une humeur qui n’avait pu se changer et se maîtriser : « Je n’ai pu voir tout ce que vous me dites de vos réflexions et de votre repentir sur mon sujet sans fondre en larmes. Ah ! ma très chère ! que voulez-vous dire de pénitence et de pardon ? » Le mal était toujours le caractère contenu et intérieur de Mme de Grignan, qui ne savait ou ne pouvait s’épancher : « Si votre cœur était un peu plus ouvert, vous ne seriez pas si injuste. Partez, éclaircissez-nous ; on ne devine point… L’on se trouve toujours bien d’avoir de la sincérité. » Il y avait donc eu des picotemens de la fille à la mère ; car celle-ci lui demande « de réparer les petites injustices qu’elle lui avait faites. » Mais, quels que pussent être ces torts, Mme de Grignan les avouait et s’en confessait avec humilité et tendresse : « Ne me dites plus que je vous regrette sans sujet : où prenez-vous que je n’en aie pas tous les sujets du monde ? .. Soyez bien assurée que mon amitié, que vous appelez votre bien, ne vous peut jamais manquer. » Bien loin de triompher de ce retour de sa fille, Mme de Sévigné essayait au contraire d’adoucir ce qu’il pouvait avoir d’amer, en feignant d’avoir tout oublié : « Je ne me souviens plus de tout ce qui m’avait paru des marques d’éloignement et d’indifférence ; .. il me semble que cela ne vient pas de vous, et je prends toutes vos tendresses, et dites et écrites, pour le véritable fond de votre cœur pour moi. » Mme de Grignan remerciait sa mère du « retour » de son cœur. « Que veut dire retour ? Mon cœur n’a jamais été détourné de vous. Je voyais des froideurs sans pouvoir les comprendre, non plus que celles que vous aviez pour ce pauvre Corbinelli. » Mme de Sévigné n’était pas, en effet, la seule victime de l’humeur de la fille ; elle martyrisait aussi son pauvre maître de philosophie : « C’était une sorte d’injustice dont j’étais si bien instruite et que je voyais tous les jours si clairement qu’elle me faisait pétiller. Bon Dieu ! combien était-il digne du contraire ! »

Un autre sujet de conversation plus agréable entre les deux dames était la petite Pauline, que Mme de Grignan gardait auprès d’elle, et pour laquelle elle prenait un goût de plus en plus vif. Elle y voyait l’image de sa mère : « Je suis ravie, disait celle-ci, qu’elle vous fasse souvenir de moi ; vous me la dépeignez charmante, et je crois tout ce que vous m’en dites. » Pauline était demeurée au couvent pendant le temps que sa mère avait passé à Paris. Mme de Sévigné, qui n’aimait pas les couvens, se félicitait qu’elle n’y eût pas été gâtée. « Je suis étonnée qu’elle ne soit pas devenue sotte et ricaneuse dans ce couvent. Ah ! que vous avez bien fait, ma fille,