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coup de partie pour cette pièce d’eau ; après cette espèce de naufrage, la sécheresse, la bourbe, les grenouilles feront tout ce qu’il leur plaira ; nous serons toujours un canal où M. du Plessis « pensé se noyer. » Voici encore une autre histoire qui faisait allusion à un scandale du temps : « Vous me contez trop plaisamment l’histoire de M. de Villequier et de sa belle-mère ; elle ne doit pas être une Phèdre pour lui. Si vous aviez relu cet endroit, vous comprendriez bien de quelle façon je l’ai compris en le lisant ; il y a quelque chose de l’histoire de Joconde, et cette longue attention qui ennuie la femme de chambre est une chose admirable[1]. » Voici un exemple de cette agréable figure de rhétorique que l’on appelle la suspension : « Jamais rien n’a été si plaisant que ce que vous me dites de cette grande beauté qui doit paraître à Versailles, toute fraîche, toute pure, toute naturelle et qui doit effacer toutes les autres beautés. Je vous assure que j’étais curieuse de son nom, et je m’attendais à quelque nouvelle beauté arrivée et menée à la cour ; je trouve tout d’un coup que c’est une rivière qui est détournée de son chemin, toute précieuse qu’elle est, par une armée de quarante mille hommes ; il n’en faut pas moins pour lui faire un lit. » Il semble aussi que Mme de Grignan avait usé d’une autre figure de rhétorique, la prosopopée, adressée au père de Mme de Sévigné mort en duel : « Vous en apostrophez l’âme de mon pauvre père pour vous faire raison de la patience de quelques courtisans. Dieu veuille qu’il ne soit point puni d’avoir été d’un caractère opposé ! » On devine que Mme de Grignan avait vu à Versailles, non sans colère, certains courtisans supporter trop patiemment les injures. De là cette apostrophe à l’âme de son grand-père ; elle eût pu également s’adresser à l’âme de son père, mort de la même manière. Mais Versailles et la cour n’étaient pas seulement pour M. et Mme de Grignan un lieu de plaisir et de fêtes. C’était encore, comme pour tous les courtisans d’alors, la source de la fortune et des grâces. Ils y allaient, tantôt l’un, tantôt l’autre ; et Mme de Grignan trouvait que son mari s’y portait mieux qu’ailleurs. Elle expliquait très bien comme, en ce pays-là, on paraissait s’oublier soi-même en ne songeant qu’à soi : « Vous expliquez divinement cette manière de s’oublier soi-même en ce lieu-là, quoiqu’on effet on n’y songe qu’à soi, sous l’apparence d’être entraîné par le tourbillon des autres. Il n’y a qu’à répéter vos propres paroles : On y est si caché et si enveloppé qu’on a toutes les peines du monde à s’y reconnaître pour le but des mouvemens qu’on se donne. Je défie l’éloquence de mieux expliquer cet état. »

  1. Voir, pour le détail, t. VII, p. 320, notes 4 et 5.