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fils : « Mon fils est ravi de votre lettre ; savez-vous bien que je me mêle de l’admirer aussi ? Je l’entends et je vous assure que je l’entends, et que je ne crois pas qu’on puisse mieux dire sur ce terrible sujet. » Quel était donc ce sujet ? Sans doute il était question de l’eucharistie et de l’explication que donnait Descartes de ce mystère. C’était un des points sur lesquels la nouvelle philosophie soulevait bien des scrupules. Les scolastiques croyaient pouvoir, sur ce point, maintenir contre Descartes la doctrine aristotélique. Mme de Sévigné disait avec un grand bon sens : « Mais ne faut-il point de miracle pour expliquer ce mystère selon la philosophie d’Aristote ? S’il en faut un, il en faut un aussi à M. Descartes ; et il y a plus de sens à ce qu’il dit jusqu’à ce qu’il en vienne à cet endroit qui finit tout. »

On avait craint un moment pour M. de Grignan que les profits du gouvernement d’Avignon ne lui fussent enlevés ; mais, après une interruption de quelques années, on avait recommencé à en jouir. Mme de Grignan y passait donc quelque temps en grande pompe, et ses lettres reflétaient sa joie orgueilleuse : « Quelle différence, ma chère comtesse, de la vie que vous faites à Avignon, toute à la grande, toute brillante, toute dissipée, avec celle que nous faisons ici (aux Rochers), toute médiocre, toute simple, toute solitaire ! .. Je comprends que, Dieu vous ayant donné cette place,.. il n’y aurait pas de raison ni de sincérité à trouver que c’est la plus ridicule et la plus désagréable chose du monde. » — « J’aime passionnément vos lettres d’Avignon, je les lis et relis, elles réjouissent mon imagination et le silence de nos bois. Il me semble que j’y suis ; je prends part à votre triomphe ; je cause, j’entretiens votre compagnie, que je trouve d’un mérite et d’une noblesse que j’honore ; je jouis enfin de votre bon soleil, des rivages charmans de votre beau Rhône, de la douceur de votre air ; mais je ne joue point à la bassette parce que je la crains. » Venait ensuite un récit de procession dont voici l’écho : « Ah ! la belle procession ! qu’elle est sainte ! qu’elle est noble ! qu’elle est magnifique ! que les démonstrations sont convenables ! que tout l’extérieur y est bien mesuré en comparaison de vos profanations d’Aix avec ce Prince d’amour et ces chevaux frust[1]. — Quelle différence ! et que je comprends la beauté de cette marche mêlée d’une musique et d’un bruit militaire ! Ces parfums jetés si à propos, cette manière de vous saluer si belle et si respectueuse, la bonne mine de M. de Grignan, enfin tout me touche et me plaît dans cette cérémonie. » Mme de Grignan, en racontant toutes ces gloires, ne voulait point cependant paraître trop enivrée et trop en contradiction avec sa philosophie habituelle,

  1. Chevaux de carton.