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millions de dollars, et à laisser rétablir les relations commerciales. Dans la pensée des commissaires impériaux, et leur rapport à l’empereur en fait foi, cet arrangement n’était qu’une trêve destinée à leur procurer le temps de réunir de nouvelles forces. Quant aux 6 millions de dollars payés aux Anglais, ils étaient présentés comme un prêt remboursable fait aux marchands hongs pour les aider à payer leurs dettes vis-à-vis des étrangers. On voit donc que les Anglais auraient pu négocier indéfiniment avec les autorités de Canton, ils ne seraient jamais arrivés à un résultat durable.

Aussi lord Palmerston, en envoyant sir Henry Pottinger en Chine, lui donna-t-il pour instruction de ne plus traiter qu’avec le gouvernement impérial : toutefois, les Anglais continuèrent à commettre la faute de limiter leurs opérations à des points isolés de la côte ; ils réoccupèrent Amoy et l’île de Chusan ; ils bombardèrent la capitale de l’île Formose ; ils occupèrent le grand entrepôt commercial de Ningpo. Aucun de ces faits de guerre ne produisait la moindre impression à Pékin : ils étaient ou celés à l’empereur ou présentés sous de fausses couleurs ; chaque fois que les Anglais s’éloignaient d’une place après l’avoir bombardée ou brûlée, leur départ était signalé à Pékin comme une fuite honteuse. Les fonctionnaires chinois ne se dissimulaient pas l’impossibilité de lutter contre les barbares, mais, malgré le nombre des échecs subis, malgré la difficulté qu’on éprouvait à opérer de nouvelles levées, et malgré le mécontentement causé par les contributions de guerre qu’on était contraint d’imposer aux provinces, la cour de Pékin se refusait à reconnaître la nécessité de traiter : après chaque échec, les commissaires civils étaient disgraciés, les commandans militaires s’ouvraient le ventre, et Taou-Kwang continuait à réclamer la tête des chefs barbares, dans lesquels il ne voyait que des pirates. Cette situation n’échappa point à l’esprit clairvoyant de lord Ellenborough, appelé à la vice-royauté des Indes : il signala aux commandans des forces anglaises comme la base d’opérations qu’ils devaient adopter la grande artère fluviale de la Chine, le Yang-tse, qui est navigable pour les plus forts bâtimens de guerre jusqu’à plus de cent lieues au-dessus de son embouchure. En se rendant maîtres de ce grand fleuve, les Anglais couperaient la Chine en deux ; ils en arrêteraient tout le commerce intérieur ; ils pourraient même s’emparer de Nankin, sa seconde capitale. Cet avis fut suivi : Woosung, port de Shanghaï, Shanghaï lui-même, Chin-Kiang-Fou, situé à la jonction du Yang-tse et du grand canal, furent successivement occupés : les meilleures troupes chinoises, une partie de la garde impériale et les garnisons tartares, tirées du Kiang-su et du Shen-si, furent battues, et le 5 août 1842, la flotte anglaise parut sous les murs de Nankin.

Les Chinois étaient à ce moment fort découragés. La coïncidence,