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un texte qui aurait révolté l’orgueil de Taou-Kwang et aurait pu leur coûter la tête.

Ce qu’il était impossible de dissimuler, c’était la multiplicité des échecs essuyés par les armes chinoises et la nécessité où l’on avait été de traiter avec les barbares. Le prestige de la race mandchoue avait reçu la plus rude atteinte. L’autorité impériale était discréditée. Les embarras financiers du gouvernement étaient extrêmes : les levées d’hommes qu’on avait dû ordonner avaient fait le vide dans les campagnes ; les soldats, dispersés par le canon des Anglais, s’étaient transformés en brigands et s’étaient répandus dans les provinces qu’ils dévastaient ; les paysans, pressurés par les percepteurs et pillés par les bandits, se soulevaient à leur tour et massacraient les fonctionnaires publics ; plusieurs provinces de l’intérieur étaient le théâtre d’une véritable jacquerie. Les provinces maritimes n’étaient pas moins malheureuses ; la destruction de la flotte chinoise avait laissé le champ libre à la piraterie, qui infestait les côtes et ruinait le commerce. Pour comble de malheur, le Fleuve-Jaune, grossi par les pluies, rompit ses digues et couvrit de ses eaux un immense territoire. Au milieu de ces calamités, on signalait une recrudescence d’activité de la part des sociétés secrètes, à l’influence desquelles on attribuait les soulèvemens qui se produisaient et dont la répression harassait les troupes impériales. Taou-Kwang essaya de désarmer le mécontentement populaire par la remise des impôts arriérés et par la promesse de punir les fonctionnaires prévaricateurs ; mais il ne put empêcher une insurrection d’éclater dans le Turkestan en faveur de la famille Khodja, et une agitation redoutable se propagea parmi les Miao-tse du Kouy-Tchéou et les musulmans de l’Yunnan.

Les embarras du gouvernement chinois eurent pour conséquence de le rendre plus tolérant à l’égard des entreprises des étrangers. Il faut reconnaître que, par là, il se mettait en contradiction avec les sentimens de l’immense majorité de la nation. A l’exception des commerçans, que les relations avec les étrangers enrichissaient, et qui dépouillaient peu à peu les vieux préjugés, les Chinois nourrissaient contre les barbares une haine profonde qui menaçait à chaque instant de se traduire par des violences. Le danger était surtout grand à Canton, où toute la sagesse de Keying, devenu vice-roi de la province, avait peine à prévenir des collisions. Les Anglais ne voulaient point demeurer enfermés dans les factoreries : ils prétendaient entrer librement à Canton et même y former des établissemens, ce qui excédait de beaucoup les termes du traité de Nankin. Néanmoins, sous la menace d’un bombardement, Keying avait promis cette concession nouvelle ; mais il se manifesta une telle agitation dans la ville que les négocians anglais s’émurent et firent des