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saisir un bâtiment anglais, la célèbre lorcha l’Arrow, et d’en jeter l’équipage en prison. C’était à la fois un outrage au pavillon anglais et une violation du traité de Nankin, parce que, si l’équipage de l’Arrow était coupable, le droit des autorités chinoises était de le traduire devant le tribunal anglais, mais non de se faire justice elles-mêmes. Il fut impossible d’obtenir de Yeh aucune satisfaction, et les hostilités éclatèrent entre l’Angleterre et la vice-royauté de Canton : c’était, en effet, une guerre purement locale, à laquelle la cour de Pékin était étrangère, puisqu’elle n’avait été ni avertie ni consultée ; elle était le fait d’un haut dignitaire agissant avec l’indépendance presque complète que la guerre civile lui assurait. Les hostilités se bornèrent d’abord à la destruction de la flottille chinoise : les forces expédiées d’Europe pour appuyer les réclamations britanniques furent détournées de leur destination par lord Canning et employées à dompter l’insurrection des cipayes.

Au moment où Yeh croyait avoir impunément bravé les barbares, lord Elgin arriva dans la rivière de Canton avec une escadre et un corps de débarquement et adressa au vice-roi, le 12 décembre 1857, un ultimatum qui fut dédaigneusement repoussé. On sait ce qui advint : Canton fut emporté d’assaut par les Anglais, qui y mirent garnison, et Yeh, fait prisonnier dans son propre palais, fut envoyé à Calcutta, où il mourut deux ans après. Lord Elgin se dirigea ensuite vers Shanghaï, pour revendiquer, conformément à ses instructions, le droit de communiquer directement avec le gouvernement impérial et mettre ainsi fin à l’irresponsabilité de ce gouvernement. Il avait adressé une lettre au premier ministre, Yuching. Il reçut en réponse, à Shanghaï, une lettre du vice-roi des deux Kiangs, lui transmettant copie d’une dépêche que lui-même venait de recevoir d’Yuching. Après avoir rappelé les événemens de Canton, cette dépêche se terminait ainsi : « Sa Majesté est magnanime et pleine de modération. Elle a daigné, par un décret que nous avons eu l’honneur de recevoir, dégrader Yeh de son rang de gouverneur général des deux Kouans en punition de sa mauvaise administration, et envoyer Son Excellence Houang comme commissaire impérial en place de Yeh, avec mission de faire une enquête et de prononcer avec impartialité. Il conviendra donc, en conséquence, que le ministre anglais se rende à Canton et y négocie. Aucun commissaire impérial ne traite jamais d’affaires à Shanghaï. Un cercle particulier d’attributions est assigné à chacun des ministres du Céleste-Empire, et la règle qu’il ne peut y avoir de rapports entre eux et les étrangers est religieusement observée par tous les serviteurs du gouvernement. Il ne serait donc pas convenable de ma part de répondre en personne à la lettre du ministre anglais. Que Votre Excellence lui