désiraient n’être pas inquiétés, achetaient leur tranquillité à prix d’argent. La population était livrée, d’ailleurs, à l’arbitraire des fonctionnaires. On avait jugé prudent de confier presque exclusivement à des Tartares la direction des opérations militaires contre les rebelles : ces commandans, surtout s’ils se trouvaient appartenir au même clan que la famille impériale, se considéraient comme indépendans des plus hauts fonctionnaires et se souciaient peu de leur déplaire. L’autorité impériale elle-même, qui avait déjà été atteinte par les revers de Taou-Kwang, semblait avoir encore été affaiblie par les succès éphémères des rebelles et plus encore par les victoires des barbares. Le traité de Pékin, qui accomplissait une révolution dans les traditions et les lois de la Chine, consacrait, par des stipulations spéciales, la liberté de pratiquer publiquement et de prêcher le christianisme, et, en conséquence, des passeports nominatifs, signés des ambassadeurs et du prince Kung furent envoyés de Pékin à chacun des missionnaires. Mais la plupart des fonctionnaires affectèrent d’appréhender le mécontentement de la population pour ne point se conformer aux ordres du gouvernement ; quelques-uns même n’hésitèrent pas à annoncer l’intention d’y désobéir. Comme un missionnaire français invoquait devant l’un de ceux-ci les obligations du traité : « Le traité ! le traité ! murmura le mandarin ; loin de Pékin, les grands ne sont pas obligés d’obéir au souverain. » Puis il ajouta : « L’empire appartient à tout le monde : celui-là seul qui a la capacité a le droit d’ordonner. » Il était impossible de témoigner moins de respect pour les actes du gouvernement.
L’insubordination des fonctionnaires n’est point le seul danger qui menace l’autorité impériale. Ni l’écrasement des Taïpings, ni les effroyables représailles exercées par les Tartares, ni quinze ou dix-huit années de misère et de souffrances, n’ont dompté l’hostilité des populations du Sud contre la dynastie régnante. La guerre civile avait à peine cessé que, sous l’impulsion des lettrés de race chinoise, les sociétés secrètes recommençaient leur travail souterrain. Les Tsin-Lien-Kiao semblent ne se proposer que le perfectionnement moral de l’humanité. Les petits manuels qui contiennent le résumé de leurs doctrines et leurs règles de conduite sont absolument irréprochables. Quel blâme serait-il possible d’adresser à des gens qui prennent l’engagement de ne pas tuer ce qui a vie, de ne pas dérober, de ne pas commettre d’adultère, de ne pas calomnier, de ne pas manger de viande et de ne pas boire de vin ? Ceux d’entre eux qui veulent avancer dans la perfection portent, suspendu à leur ceinture, un petit sachet divisé en trois compartimens : celui de droite contient des pois blancs, celui de gauche des pois noirs, celui du milieu est vide. Lorsque le dévot accomplit une bonne