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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/443

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commissions spéciales n’inclinent-elles pas à surcharger les plus riches ou les moins bien pensans ? Plus donc il y aura de centimes additionnels à percevoir, plus il y aura d’iniquités commises et de fermens de discordes répandus. Que de sujets de petites guerres civiles locales à introduire partout !

Ce serait peut-être le lieu de mentionner le projet d’un changement complet dans notre système d’impôts, à savoir l’introduction d’une taxe qui donne ailleurs de grands résultats et dont nous n’avons point fait jusqu’ici d’expérience, à savoir l’impôt sur le revenu.

On a beaucoup agité cette question, et la meilleure réponse faite à ceux qui l’ont proposée a été que, sous une forme indirecte, cet impôt existait déjà, et que, tant les revenus fonciers que les revenus mobiliers, de même que les profits industriels, commerciaux, professionnels et autres, tous enfin payaient au trésor de très larges rémunérations. On a voulu seulement éviter chez nous l’estimation arbitraire du revenu personnel, que les déclarations des intéressés ne permettraient pas d’accueillir sans contrôle, ou que l’estimation des tiers tendrait à établir bien inégalement. Dans les dispositions actuelles de notre pays, ce danger nous paraît de tous le plus à craindre ; et n’est-ce pas avec une véritable appréhension que nous verrions la fortune de chacun livrée aux estimations des voisins, des envieux et des ennemis ? La déclaration individuelle serait préférable, mais paraîtrait bien naïve à ceux que les besoins de plus abondantes recettes porteraient à recourir à l’établissement de l’impôt sur le revenu. Ce ne serait donc que dans des circonstances extraordinaires, pour parer à des éventualités redoutables, qu’il faudrait y recourir même passagèrement ; et la mesure nouvelle ainsi prise, le mode d’exécution s’inspirerait nécessairement du même esprit révolutionnaire qui l’aurait dictée.

Toutes ces considérations nous conduisent à une conclusion triste et sur laquelle il n’y a pas à fermer les yeux. La pente est irrésistible et fatale et le déficit financier est au bout. Pouvons-nous en arrêter la marche, et comment l’enrayer ? Questions bien redoutables, bien redoutées, sur lesquelles chacun est plus disposé à se taire qu’à formuler des espérances vaines ou à bâtir des projets inutiles. Ce qui nous est du moins permis, et même commandé, c’est de demeurer fidèles aux lois du bon sens, de sauvegarder les principes sans lesquels une société, sous quelque forme qu’elle s’établisse, n’est viable, et de nous défendre contre les passions subversives, les haines civiles et les excès révolutionnaires qui nous conduiraient à la décadence et à la ruine finale.


BAILLEUX DE MARISY.