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sans voir qu’elle les précède. Combien d’hommes, au Théâtre-Français, un mardi, jour du beau monde, sont capables d’apprécier par quoi Mithridate est supérieur à Louis XI, ou seulement de sentir qu’il l’est ? Un petit nombre, et guère plus qu’à l’Odéon, un lundi. Mais autour de ce petit nombre une compagnie est groupée, qui a le loisir et le moyen de se renseigner vite ; elle est abonnée à la cote du jour, telle que les connaisseurs l’établissent. Elle sait que Delavigne est en baisse et que Racine se maintient ; blasée sur le spectacle, elle sait que, si Mithridate l’ennuie, comme il est probable, elle doit cacher son ennui ; pour Louis XI, qu’elle doit le déclarer. Nos gens de l’Odéon prennent plaisir à l’un et à l’autre : les pauvres gens ! Comme dit le roi à Olivier :


Ces misérables-là font du bonheur de tout !


logés plus loin que d’autres parce qu’ils n’ont pas le moyen de se loger plus près, ils reçoivent la lumière de certaines étoiles plus tard, après qu’elles sont mortes ; Casimir Delavigne brille encore pour leurs yeux. Est-ce à dire que l’astre éteint s’est rallumé ? Non pas ! voilà cinquante-deux ans qu’un maître, après l’avoir regardé fumer, a posé dessus son éteignoir : aucune flamme n’a rejailli.

Gustave Planche, à cette place, le 15 février 1832, écrivait que Delavigne, après Louis XI, ne ferait plus que « se survivre, » et que cette pièce était son « testament. » « Je voudrais de tout mon cœur, avouait-il, que cette tragédie fût détestable… Si Louis XI était détestable, il aurait au moins un privilège que je lui refuse, celui d’être : or, je crois prouver facilement qu’il n’est pas. » Et il le prouvait avec rigueur. Vainement le Journal des Débats, en trois feuilletons, vantait les mérites de l’auteur encore plus que de l’ouvrage, sa conscience et son application : Gustave Planche n’avait pas accusé Delavigne de facilité ! Son jugement prévaut contre toute excuse, et s’il étonne, c’est par sa promptitude : la postérité n’eût pas prononcé plus sûrement. Sitôt pris, sitôt pendu : Olivier le Daim et Tristan l’Hermite n’avaient pas la main plus rapide, mais leurs besognes étaient moins justes. En trois mots, et sans répéter ce que nous ne saurions mieux dire, qu’est-ce que Louis XI ? Ce n’est ni un drame qui fait éclater dans une crise tout le caractère du héros, — ainsi Britannicus, — ni une composition historique qui embrasse la vie entière d’un souverain, comme le King John de Shakspeare ; encore moins un poème comme ceux de Victor Hugo, soufflé par une fantaisie créatrice et décoré d’un nom réel ; c’est seulement, modelée par petites touches, avec une industrie laborieuse et dans une matière rapportée de partout, — du moins de partout où va tout le monde, — la figure d’un roi connu ou que l’on croit connaître, et pourquoi travaillée avec tant de peine, pourquoi si