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me veut pas tenir ce qu’on m’avoit promis. Est-ce là l’assurance que le roi catholique m’avoit donnée, que mon mariage ne se paracheveroit pas que celui de ma sœur ne se fît par même moyen ? Et maintenant il en remet la longueur et la faute sur ceux qui sont alentour de son neveu le roi de Portugal. Je veux être éclairci et je veux que vous mettiez ce roi catholique en propos de l’étrange façon qu’on use à mon endroit, et que vous ne pouvez penser comment je pourrois supporter une pareille indignité, s’il ne prévoit pas les inconvéniens qui peuvent avenir. »

Ce n’est que plusieurs mois après cet insuccès, que Charles IX vint à penser pour Marguerite au jeune roi de Navarre, et sur la propre initiative de Jeanne d’Albret, il est important de le constater : « Ma tante, écrivait-il le 2 décembre 1571, m’a envoyé M. de Beauvais et m’a rappelé la promesse faite par mon père Henri II au roi son époux. J’y ai volontiers consenti. » Mais avant de réaliser ce projet, il fallait à la fois obtenir une dispense que le pape était bien résolu à refuser, et se mettre d’accord avec Jeanne d’Albret, qui, tout en désirant cette union, y mettait de dures conditions. Elle exigeait d’abord que la ville de Lectoure, occupée par La Vallette, lui fût préalablement rendue ; puis elle n’entendait pas que son fils quittât le Béarn avant que toutes les clauses du contrat fussent arrêtées ; elle voulait enfin qu’il ne parût, ainsi qu’elle le dit dans son hardi langage, « que pour l’office qu’on ne peut faire par procuration. » Satisfaction sur tous les points lui ayant été donnée, Jeanne arrivait, le 14 février 1572, à Chenonceaux, où Catherine l’avait devancée d’un jour.

Quel contraste entre ces deux femmes ! Catherine, avec les gros yeux des Médicis, dont une goguenardise gauloise tempérait la vivacité, déniant effrontément ce qu’elle avait dit ou promis la veille ; et Jeanne, au visage austère, ascétique, aux lèvres minces, dont le froid calvinisme avait glacé le sourire, absolue, autoritaire, impassible en apparence et renfermant au fond de son cœur de fiévreuses ardeurs. A peine âgée de quarante-quatre ans, elle avait passé par bien des épreuves et des déceptions. Tout enfant, la politique ombrageuse de François Ier l’avait arrachée à la tendresse de sa mère et reléguée dans le triste château du Plessis-lès-Tours ; à treize ans, il avait fallu que le connétable de Montmorency l’emportât de force dans ses bras pour la fiancer au duc de Clèves, qu’elle n’épousa pas. Dans sa première jeunesse, coïncidence étrange, elle s’était éprise du grand François de Guise, le père du Balafré, et avait fini par épouser Antoine de Bourbon, caractère faible, variable, dominé par l’audacieuse de Rouet, que Catherine lui avait donnée pour maîtresse.