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Celui-ci, parti pour l’Italie, avait menacé Mlle de Sévigné d’avoir la hardiesse de lui écrire ; mais il n’en avait rien fait. C’est la jeune fille qui est obligée de faire les avances, et l’on devine les délicatesses que ce rôle peut provoquer. « J’étais accoutumée, dit-elle, à la liberté que vous deviez prendre de m’écrire, et je ne saurais m’accoutumer à celle que vous prenez de m’oublier. » Elle ne veut pas mettre ses intérêts entre les mains de Mme de Coulanges : « Il ne faut point confondre tant de merveilles, et je ne prendrai point de chemins détournés pour me mettre au nombre de vos amis. » On voit que nous avons affaire à une élève de l’hôtel de Rambouillet, où l’on jouait à la galanterie, même avec les abbés.

Nous la voyons ensuite, au moment de son mariage, en picoterie avec Bussy-Rabutin, le cousin et l’ami si indélicat de sa mère. La question était de savoir lequel des deux écrirait le premier à l’autre, de M. de Grignan ou de Bussy : l’un pour annoncer le mariage, ou l’autre pour l’en féliciter. Chacun faisait valoir ses droits. Les deux dames, la mère et la fille, écrivirent chacune de leur côté pour justifier et défendre M. de Grignan. Il est curieux de comparer les deux styles et de voir comment l’une et l’autre plaident la même affaire : d’un côté, la bonté et la bonne grâce de Mme de Sévigné, qui tourne tout en riant et qui cherche à adoucir les choses en s’adressant à l’amitié ; de l’autre, la raideur de Mme de Grignan, soutenant les prétentions de son mari, si d’accord avec la fierté naturelle de sa propre humeur. Voici le mot de Mme de Sévigné : « Mme de Grignan vous écrit pour monsieur son époux. Il jure qu’il ne vous écrira point sottement, comme tous les maris ont accoutumé de faire à tous les parens de leur épousée. Il veut que ce soit vous qui lui fassiez vos complimens sur l’inconcevable bonheur qu’il a de posséder Mme de Grignan. Comme il dit tout cela fort plaisamment et d’un bon ton, et qu’il vous aime et vous estime, je vous prie, comte, de lui écrire une lettre badine, comme vous savez si bien faire ; vous me ferez plaisir à moi, que vous aimez. » On voit que la charmante marquise essaie de dorer la pilule. La comtesse ne fait pas tant de façons : « M. de Grignan ne vous a point écrit ; et, bien loin de comprendre qu’il dût commencer, il a trouvé très mauvais que vous n’ayez pas daigné lui faire compliment, parce qu’il s’est trouvé si heureux, qu’il croyait tout le monde obligé de le féliciter. Voilà des raisons ; et je suis assez vaine pour être bien aise de vous le dire moi-même. » Bussy, en recevant ces deux billets, ne paraît pas y avoir vu de différence. Les chatteries de Mme de Sévigné ne le touchèrent pas ; et il traite, sans façon, ces deux lettres de « fort aigres » et de « ridicules. »

Nous avons plusieurs lettres de Mme de Grignan à son mari ; et