Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/580

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des ciseaux et des étoffes pour me faire habiller à la mode du temps. — Pourquoi dites-vous cela ? reprit Catherine ; c’est vous qui inventez les belles façons de s’habiller, et quelque part que vous alliez, la cour les prendra de vous et non vous de la cour. »

Pendant qu’on ne pensait qu’à inventer de nouveaux plaisirs, un incident faillit brouiller encore une fois les cartes. Un soir de bal, M. de Favas, prenant le roi de Navarre à l’écart, lui glissa tout bas à l’oreille : « Ussac nous a trahis, il a livré La Réole à Biron. » Sans témoigner la moindre émotion, le roi s’approcha de Rosny : « Avertissez, dit-il tout bas, mes plus fidèles amis, dans une heure je serai à la porte de la ville. » Au point du jour, il entrait à Fleurance, qui n’opposa aucune résistance. Lorsqu’on vint l’annoncer à Catherine : « C’est la revanche de La Réole, s’écria-t-elle ; le roi de Navarre a voulu nous rendre chou pour chou, le sien est mieux pommé. » Toutefois, c’était là un fâcheux contre-temps. Catherine pria donc Marguerite d’écrire à son mari et fit porter la lettre par Pibrac. De son côté, elle alla jusqu’à un gros bourg nommé Gigan pour s’y rencontrer avec le roi et s’en expliquer. A la suite de longues récriminations réciproques sur toutes ces entreprises faites si mal à propos, on finit par s’entendre. Catherine promit de faire rendre La Réole et le roi Fleurance, et, d’un commun accord, le jour de la conférence fut enfin fixé au 10 décembre.

Comme preuve de confiance, Catherine se rendit d’Auch à Condom et de Condom à Nérac. « Nous sommes arrivées d’assez bonne heure, écrivait-elle le 16 décembre à Henri III, en ce lieu où votre sœur fit son entrée, et y fûmes fort bien reçues. » Mais de longues semaines se passèrent encore avant l’ouverture de la conférence. Catherine resta tout ce temps au port Sainte-Marie, où elle était revenue, ne cessant de se plaindre de l’humidité et de l’incommodité de ce triste séjour. Enfin, elle put écrire à la duchesse d’Uzès qui était rentrée à Paris : « Je commence à voir ces députés ; ils ressemblent tous à des ministres et à ces oiseaux que vous savez, car ici je ne les oserois nommer par leurs noms, mais vous m’entendez et je vous entends, il y a quarante ans de bonne mémoire. J’espère que tout ira bien. »

De part et d’autre, dans la journée on luttait d’habileté et de ruse ; les soirées étaient réservées aux bals et aux fêtes. Désireux de faire grande figure, le roi de Navarre avait vidé son maigre trésor de Pau, et tout aussi bien qu’au Louvre, il avait sa troupe de comédiens italiens, ces gelosi que le roi Henri III avait mis à la mode. Marguerite fut la vraie reine de ces fêtes : le poète huguenot Dubartas composa en son honneur un dialogue en trois langues, récité par trois demoiselles qui représentaient les muses gasconne,