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en prenant une femme, dont le nom et la haute situation, pût lui servir de marchepied. Il la rencontra dans Catherine de La Marck, fille de Robert de La Marck, duc de Bouillon. Deux années auparavant, Marguerite avait bien voulu lui donner une femme, mais une femme de sa main, et avec la certitude de le garder pour elle. Quand elle apprit qu’il lui échappait, qu’il la trahissait, sa jalousie fit explosion, : « Il n’y a donc plus de justice au ciel, ni de fidélité, en terre ! écrit-elle. Triomphez, triomphez de ma trop ardente amour ! Vantez-vous de m’avoir trompée ; riez-en, et moquez-vous-en avec celle de qui je reçois : cette seule consolation que son peu de mérite vous sera le juste remords de votre tort. En recevant cette lettre, la dernière, je vous supplie de me la renvoyer, car je ne veux pas qu’à cette belle entrevue, que vous ferez ce soir, elle serve de sujet au père et à la fille de discourir à mes dépens. »

Il y a des femmes de nature douce et passive, qui, trahies et délaissées, ne laissent rien paraître au dehors. Marguerite n’était pas l’une de ces résignées. Surexcitée par l’abandon de Chanvalon, et d’humeur batailleuse, elle mordit à belles dents, et, faisant chorus avec tous ceux qui reprochaient à Henri III ses mignons et sa honteuse façon de vivre, elle échangea avec lui des mots acerbes et sanglans, sans s’inquiéter des représailles, qui, pour se faire attendre, n’en seraient que plus terribles. Le départ de Henri III pour les eaux de Spa amena une trêve momentanée. C’est durant ce court intervalle de temps que Chanvalon revint d’Anvers à Paris sans que Marguerite s’y attendit. Le duc d’Alençon l’avait chassé, et, au lieu de se réfugier à Sedan auprès de sa femme, il avait préféré demander un asile à Marguerite. D’où venait sa disgrâce ? Les uns l’accusaient d’avoir tiré vanité de sa liaison avec la reine ; d’autres d’avoir révélé certaines confidences que le duc lui avait faites. Sans se préoccuper du danger qu’elle allait affronter de nouveau, n’écoutant que sa passion, Marguerite renoua, avec son ancien amant. Mais que ces jours d’ivresse furent courts et mélangés de déboires ! Son éternelle rivale, Mme de Sauve, non satisfaite de se partager entre d’Épernon, son nouvel amant, et le duc de Guise, avait eu la fantaisie de rendre Chanvalon infidèle, et plus tard elle y réussira. Prise de découragement, Marguerite eut alors la pensée de se retirer auprès du roi son mari ; c’était le salut. L’argent lui faisant défaut, elle ne put partir. A la fin de juin, elle tomba malade. Sa maladie devint le prétexte des plus fâcheux propos. « La reine de Navarre est grosse ou hydropique, » écrivait Busini, l’ambassadeur de Toscane.

Le retour de Henri III rendit à Marguerite toutes ses craintes ; elle eut enfin conscience du danger qui la menaçait, elle et