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bien à l’art dramatique en général. Contester à l’opéra ses droits à l’existence à cause de la langue conventionnelle, c’est nier également la tragédie, n’étant pas plus naturel à l’homme de parler envers que de chanter. Quel art d’ailleurs me citerez-vous qui se puisse passer d’illusion ? Prendre un bloc de marbre pour une figure humaine, une toile peinte pour une réalité est une illusion non moins bizarre que celle qui consiste à s’identifier avec des personnages qui déclament des alexandrins ou débitent des cavatines. L’illusion a ses momens, elle nous prend, elle nous quitte, on la subit, on la secoue, tantôt intéressé, vibrant, ému jusqu’aux larmes et tantôt lorgnant de côté et d’autre dans la salle ; l’illusion est le reflet, la réflexion de l’œuvre dans l’âme du spectateur, le prestige par qui le non-réel devient réel.

M. Riehl fait aussi le reproche à l’opéra d’être une affaire de mode. « De toutes les formes musicales, c’est la plus transitoire, à ce point qu’on se demande à la lecture comment faisaient les anciennes partitions pour se comporter dramatiquement à la scène. Que subsiste-t-iliaujourd’hui du répertoire de Lulli, de Händel, de Gluck lui-même ? Que restera-t-fl demain de Rossini, de Meyerbeer ? Seul Mozart aura survécu, il est le seul qui tienne encore debout sur les planches ; mais son école ! Où sont les Spontini, les Paër, les Winter, les Méhul ? Une reprise ici et là, une ouverture, un finale qu’on exécute dans les concerts, puis, rien, que des noms qui surnagent pour servira la discussion, rien que des conceptions esthétiques ! Tout le monde parle de la fameuse querelle des gluckistes et des piccinnistes ; c’est à qui s’en ira chercher là des armes à fourbir pour ou contre le wagnérisme ; mais qui de nous, quand on les lit, s’est rendu compte de ce qu’étaient à la représentation ces opéras, cause de tant de bruit, et qui nous expliquera comment ils agissaient si violemment et si contradictoirement sur ces partis passionnés et pourtant sincères ? Autre chose est de la musique instrumentale ou purement vocale ; Bach et Palestrina défient les siècles, mais les opéras de Händel et de Scarlatti, essayez donc d’y aller voir ! »

Peut-être bien conviendrait-il aussi d’ajouter qu’il n’y a rien, dans tout ce que l’auteur vient de dire là du drame lyrique, qui ne s’appliquât également au drame sans musique. Car nous ne voyons guère qu’il en soit fort différemment dans le règne du théâtre littéraire. Sans doute on joue encore Molière et Racine à la rue Richelieu, tandis qu’à l’Opéra le nom même de Gluck semble ignoré ; mais, à ne considérer que le présent, à laisser les classiques dans leurs temples ou leurs mausolées, et à n’en juger que par ce qu’il advient à cinq ou six ans de distance de telle pièce dont les recettes