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lectures, étaient demeurées sans emploi ; car on a beau vouloir tout dire, il faut toujours sacrifier quelques-uns de ses petits papiers. Mais M. Babeau, plutôt que de les perdre ou d’attendre longtemps à les utiliser, en a composé ce livre, sans que d’ailleurs le peu de choses qu’il y ajoutait ait pu réussir à en modifier le premier caractère. Ce ne sont donc ici que des restes, je dirai même des restes assez mal accommodés, et sous un titre qui semblait promettre merveilles, une compilation dont on a peine à démêler le véritable intérêt.

Le fait est que si l’auteur, comme j’aime à le croire, a su ce qu’il voulait faire, il a composé son livre comme s’il ne le savait pas. Deux choses, en premier lieu, l’ont successivement attiré : les détails purement humoristiques dont peuvent abonder les récits de Sterne, par exemple, ou de Smollett, et les constatations de l’ordre économique ou social qui font la grande valeur des Voyages d’Arthur Young. Mais il fallait choisir, et tout l’un ou tout l’autre : à peine mentionner Arthur Young lui-même, dont on s’est déjà tant servi, si le livre était fait pour notre amusement, mais, au contraire, ne pas dépenser vingt-cinq pages à la reproduction des boutades ridicules et vides de ce vulgaire Smollett, si l’ouvrage était écrit pour notre instruction. Ce sont deux leçons que l’on confond trop de nos jours, quoique cependant elles soient bien différentes : mêler le plaisant au sévère, ou instruire en amusant ; la première aussi juste que la seconde est vaine, fallacieuse et même dangereuse. M. Babeau s’est évidemment flatté qu’il ferait rire en reproduisant les phrases solennelles de l’abbé Coyer, que, d’ailleurs, il a tort de prendre pour « un historien distingué ; » ou les observations quelquefois naïves du président Dupaty, qu’au surplus il n’a pas raison de maltraiter comme il fait. Mais ce n’est pas pour y chercher de quoi rire que l’on ouvrira son livre, et, dans cette confusion de genres, le moindre risque qu’il ait couru, c’est qu’on le ferme avant de l’avoir achevé.

Il eût encore fallu mieux délimiter le sujet. Je ne sais s’il est vrai qu’au « point de vue de la manière de voyager, » notre histoire se divise en « trois âges très distincts : » celui du cheval, celui de la voiture et celui des chemins de fer. Mais ce que je n’ignore pas, c’est que, si la renaissance est une ère dans l’histoire intellectuelle de l’Europe, elle n’en est pas une dans notre histoire politique intérieure. Une France nouvelle, — autant que ce mot ait de sens, — a daté de l’avènement des Bourbons. A partir d’eux, à partir surtout de Louis XIII, notre histoire politique est caractérisée, comme tout le monde le sait, par le rapide progrès de la monarchie vers l’absolutisme, par la concentration dans la capitale, ou dans cet artificiel Versailles, de tous les moyens de gouvernement, et par le majestueux isolement enfin du souverain dans l’espèce de nuage de sa dignité plus qu’humaine. On