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ne passent que peu de temps au domicile conjugal. Il en résulte pour eux, dans la famille même, une position subordonnée. La gestion des biens, l’éducation des enfans, le travail des champs, sont également à la charge de la femme, qui semble devenir un homme de plus d’une façon par l’usurpation obligée des occupations et des habitudes viriles. C’est ainsi que les choses se passent à Ouessant et dans d’autres îles qu’on a peut-être présentées dans les Guides de voyageurs sous des couleurs un peu flattées. Je n’ai pas à juger des habitudes qui sont là conséquence d’une situation donnée, mais je suis peu disposé, je l’avoue, à en faire l’apologie. Cambry, qui était chargé par le gouvernement, vers 1794, de faire une enquête sur le Finistère, a décrit l’île de Batz au moment de la révolution. La description n’est pas aussi tentante qu’elle est curieuse. Cette femme, qui possède la terre et qui la cultive au soleil et par tous les temps, avait assez l’air, à l’en croire, d’une virago. Aussi les mariages avaient-ils, là plus qu’ailleurs, un caractère tout positif : rien que le calcul ; pas même ces célébrations, à certains égards si touchantes, qu’on voyait dans toute la Bretagne. Quoique je n’aie pas visité l’île de Batz depuis 1864, j’ai pu constater que ces femmes ont l’air aujourd’hui beaucoup moins rébarbatif et que la manière de vivre est devenue, là aussi, beaucoup plus civilisée. Ce qui n’a pas changé, ce sont les habitudes laborieuses. Cette femme a une énergie qui dépasse souvent celle des hommes. Elle n’en a pas fini avec le travail quand le soleil se couche. Pendant les nuits d’hiver, au milieu des tempêtes, dans une obscurité profonde, sur un rocher glissant, tantôt dans l’eau jusqu’à la moitié du corps, tantôt suspendue sur l’abîme, elle saisit avec un râteau le goémon que la mer apporte, véritable richesse de la famille et du pays.

À côté de Belle-Ile-en-Mer se trouvent les petites îles de Hoëdick et de Houat. Les populations y présentent des traits d’une originalité exceptionnelle[1] tellement en dehors de nos habitudes, qu’ils semblent nous transporter loin de la France moderne. Tout ce qui touche aux mœurs et à la condition fait de ces îles comme les épaves morales d’un autre âge. Leur gouvernement, qui nous fait reculer de plusieurs siècles, est purement théocratique. Le curé régit le temporel comme le spirituel. Ce pouvoir absolu du

  1. Les pécheurs-agriculteurs de Hoëdick ont été le sujet d’une de ces curieuses monographies que publie l’école d’économie sociale fondée par M. Le Play. L’auteur de cette monographie, M. Escard, a retracé avec d’intéressans détails ces coutumes qui survivent comme un débris d’un autre âge et qui sont communes aux deux lies. L’île de Houat a été décrite également par M. A. Daudet, qui en a reproduit les traits extérieurs les plus saisissans.