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loin ce service de propager les idées, les inventions, la langue et la science françaises : ingénieurs dans les grandes constructions et l’a direction de travaux publics de communication, de viabilité, de ports, de mines, d’assainissement des villes ; savans et professeurs dans les collèges et écoles supérieures ; médecins et avocats dans les services privés que leur profession est appelée à rendre ; industriels dans la création et le développement d’usines dont ils demandent en France les directeurs, les contremaîtres, les machines et les modèles ; éleveurs au milieu de leurs immenses domaines, où il y a toujours une place, du travail et le moyen de réussir pour tout Français qui s’y présente.

Ce groupe militant qui possède l’ambition, commune à tous les hommes, de réussir et de s’élever au-dessus de ses concurrens, en a une autre, spéciale à ceux qui luttent loin de la patrie : ils veulent que quelque chose de leurs œuvres soit constaté là-bas, dans ce coin reculé où leurs souvenirs convergent ; ils rêvent que l’on en parle chez eux. Aussi, lorsqu’un député, dans une phrase incidente, à propos de l’expédition du Tonkin, déclare à la tribune du parlement que notre plus belle colonie est la colonie française de La Plata, il circule parmi ces laborieux expatriés un souffle d’orgueil, cette satisfaction glorieuse qu’éprouve le régiment cité à l’ordre du jour.

Après quarante ans de silence, c’était la première fois, depuis les débats de 1840, soulevés à propos du blocus de Buenos-Ayres par la flotte française, que le parlement s’occupait de cette colonie unique ; et cependant, en remontant aux origines de son histoire contemporaine, on trouve une heure où le pays où elle s’est créée a pu croire qu’il allait devenir français, alors qu’un officier français, moins célèbre que Lafayette et Rochambeau, et tout aussi digne de la même renommée, présidait à l’éclosion de son indépendance et prenait en mains la direction militaire de sa résistance aux Anglais, qui devait amener l’expulsion des Espagnols.

Nous ne voulons pas tenter ici la longue histoire de l’indépendance des états de La Plata, ce serait la faire que de conter, par le menu, celle du comte de Liniers de 1806 à 1810, mais une notice sur la colonie française de La Plata serait incomplète s’il n’y tenait la première place. Né à Niort en 1737, le comte Jacques de Liniers avait pris du service en Espagne comme officier de marine et participé aux expéditions d’Algérie de 1775 à 1784. Conservant son rang dans l’armée espagnole, il fut chargé, en 1700, d’un commandement dans les Missions, qui, depuis l’expulsion des jésuites, en 1767, dépendaient des états de La Plata érigés, en 1776, en vice-royauté, avec