Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/896

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et conservent surtout à la langue maternelle une fidélité qui peut être critiquée et qui n’en est pas moins touchante. Cette fidélité même n’a pas été étrangère à la progression constante de l’influence française à l’étranger et en particulier dans le pays dont nous nous occupons, où elle est si particulièrement remarquable, C’est bien, en effet, par ces colons et pour leurs besoins que les premiers livres français pénètrent à l’étranger, et c’est bien par eux que le grand mouvement des esprits en France qui commence en 1820 se fait connaître.

Après les écarts de la révolution, après le césarisme et l’épreuve nouvelle de la restauration, qui n’avait pas osé porter la main sur les conquêtes entrées dans le domaine de la loi et de la constitution, les oscillations gigantesques du pendule qui marquait la marche quelque peu affolée de la société française trouvaient après 1830 un équilibre momentané dans le juste milieu et l’espérance de quelques années de paix sociale. Les républiques d’Amérique avaient, elles aussi, traversé les heures sanglantes de leurs plus terribles épreuves. Tout entières aux essais inhabiles des constitutions, aux tentatives d’appropriation rapide de toutes les conquêtes de l’esprit philosophique, elles avaient encore à connaître de nouvelles luttes ; elles étaient en pleine guerre civile quand commença à se répandre sur le monde le souffle puissant de la génération de 1830. La France pacifiée, tout entière à l’art, reconquérait brillamment sa grande influence, s’emparait des esprits par sa poésie, par ces drames, par ses romans, par ses brillantes conceptions politiques, par l’écho puissant de sa tribune, par la presse nouvellement organisée, par ses journaux et ses revues, par toutes les productions de l’esprit. Le libéralisme de 1830 offrait aux hommes politiques du nouveau monde une sorte de refuge de la pensée. Il rencontrait le plus grand nombre d’entre eux dans l’exil ou dans la retraite où les reléguaient les violences des partis surmenés par les hommes de lance et de couteau qui avaient supplanté les hommes d’épée. Malgré les difficultés de communication, le grand éloignement que comblaient mal les paquebots à voiles, il n’y eut pas un nom de cette grande génération qui n’eut son heure de popularité à Buenos-Ayres. Malgré Rosas, malgré dix ans de blocus par la flotte française, « ‘est là peut-être où aboutit pendant toute cette brillante période l’écho le plus vibrant de tout ce qui se dit ou s’écrivit en France. L’influence française force le blocus ; la littérature française règne, malgré les prohibitions, malgré ces proclamations et ces décrets étranges qui font plus que réprouver et bannir tout ce qui est français, qui vont jusqu’à destituer du titre de patron de la ville de Buenos-Ayres saint Martin de Tours, et à exécuter ce