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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/906

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qui ne l’étaient pas. En 1868, pour la première fois, la Société des transports maritimes expédiait directement de Marseille pour Buenos-Ayres ses vapeurs du plus fort tonnage et réussissait si parfaitement dans cette entreprise que les Messageries, en même temps que la compagnie anglaise du Royal-Mail, imitaient cet exemple. Depuis, toutes ces lignes ont doublé le nombre de leurs voyages mensuels, doublé la dimension de leurs steamers ; les chargeurs du Havre ont supprimé leurs voiliers et constitué une puissante compagnie qui prend rang à côté des premières ; ils ont même pris l’initiative de remonter les grands fleuves jusqu’au Rosario, à deux cents lieues de la mer ; là encore, ils ont suivi l’exemple donné depuis vingt ans par un armateur français de Montevideo, M. Ribes, et créé à côté de la sienne une ligne spéciale reliant ce port à ceux de l’Uruguay et du Parana, ouvrant au pavillon français de nouvelles régions.

Ces créations, qui emploient, utilisent et multiplient les capitaux français, ont pour origine et pour cause le développement même de la colonie. Sans les efforts accumulés de ces colons, qui depuis 1825 se sont expatriés successivement, toujours avec le même espoir, souvent déçu, de conquérir un capital et d’en retourner jouir en France, celle-ci n’aurait pas vu son esprit national, ses qualités de race se répandre dans ces régions, sa langue s’y généraliser, les sympathies pour son œuvre dans le monde s’y développer et y conquérir de nouveaux collaborateurs.

Celui qui, pour la première fois, met le pied dans la république Argentine est surpris d’y trouver une grande nation vivant à l’européenne en contact continuel avec la France, où ce que fait, dit et pense Paris y est mieux connu qu’à Paris même ; c’est à peine s’il a de temps à autre l’occasion de parler espagnol, le français lui suffit. Les librairies étalent à leurs vitrines les livres français ; les romans à sensation d’auteurs populaires en France y trouvent mille acheteurs en quelques heures dès qu’ils apparaissent ; les journaux français y arrivent par ballots ; quelques-uns des anciens ont gardé encore leur célébrité, qui date de 1840, et seraient surpris d’y voir leurs lecteurs augmenter dans ce pays éloigné, quand ils diminuent en France même ; certaines revues y comptent un nombre si considérable de lecteurs qu’elles pourraient souhaiter d’en trouver un égal dans les grandes villes de France ; les livres de droit, de médecine, de sciences appliquées, à peine imprimés, y arrivent en nombre envoyés par les éditeurs de Paris, qui savent qu’ils ont là un public avide de toutes les nouveautés, qui veut connaître toutes les théories nouvelles et leurs plus récentes applications. Est-il besoin de parler des modes, des articles de fantaisie et des menus objets que