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prononcé par Racine à l’Académie française lors de la réception de MM. Thomas Corneille et Bergeret, — discours où, justement, Polyeucte n’est pas nommé. On en retrancha, naturellement, les complimens aux récipiendaires ; on en retrancha le panégyrique de ce Cordemoy, qui, au dire de l’orateur, « si la mort ne l’eût point ravi au milieu de son travail, allait peut-être porter l’histoire aussi loin que M. Corneille a porté la tragédie. » De la sorte, il ne resta que « l’éloge d’un immortel par un autre immortel : » ainsi devait s’exprimer M. Got dans son préambule. Encore cet éloge fut-il abrégé : on supprima tout ce qui regarde la personne privée de Corneille, « homme de probité et de piété, bon père de famille, bon parent, bon ami ; » on supprima tout ce qui touche le bon académicien ; on arrêta le discours après cette phrase : « La France se souviendra avec plaisir que, sous le règne du plus grand de ses rois, a fleuri le plus grand de ses poètes. » On obtint, par ces expédiens, un morceau du genre pompeux, où Corneille n’apparaissait qu’embaumé pour les siècles : c’est justement ce qu’on voulait.

Donc, après Polyeucte, la toile s’étant relevée, la Comédie-Française nous apparut dans sa gloire : toute la troupe, en costumes du répertoire classique, était ordonnée sur deux rangs autour du buste de Corneille ; c’était un beau spectacle. Auprès de ce buste, M. Got en habit noir, — ce n’est que sur l’habit noir, en effet, que se porte le ruban de la Légion d’honneur, et ne convenait-il pas que les comédiens, pour flatter Corneille, lui donnassent l’étrenne publique de ce ruban ? — cependant M. Got, tout de suite après, devait jouer le Menteur, où son franc comique se ferait applaudir auprès de la virtuosité de M. Delaunay. J’aurais préféré que Louis XIV, pour la circonstance, autorisât M. Got à porter le collier de Saint-Michel sur la livrée de Cliton, et qu’ainsi vêtu, l’excellent artiste nous débitât son morceau. L’habit noir, parmi ces costumes, avait je ne sais quoi de bizarre, de prétentieux et de froid : l’apprêt d’une diction nécessairement trop savante aurait suffi à guinder le discours au ton de cette solennité, même au-dessus. L’intermède, en effet, a paru compassé à miracle et, quoique fort écoutée, la harangue a semblé longue : le public avait mal aux jambes de tous ces acteurs, qui l’écoutaient debout, immobiles.

A défaut de grands alimens pour la critique, voilà de quoi défrayer la « soirée parisienne » des journaux, et même, par la cérémonie de Saint-Roch, une « matinée parisienne. » Le lendemain, à l’Odéon, entre l’à-propos de M. Tiercelin, Corneille et Rotrou, et le Cid, joué par M. Albert Lambert fils et Mlle Hadamard, M. Chelles, devant ses camarades assemblés à l’instar de MM. de la Comédie-Française, a dit un poème de M. Blémont : Pierre Corneille, c’étaient des vers patriotiques et civiques d’assez bonne facture, où l’on apprend que les stances de Rodrigue sont le prélude de la Marseillaise. Mais c’est à Rouen, samedi