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le plus de bénéfices à réaliser. Nous lisons dans l’une de ces brochures que la suprême habileté consiste à se procurer tous les avantages que peuvent offrir les annexions sans s’exposer aux dépenses et aux risques qu’elles entraînent. Nous lisons dans l’autre que les Allemands ont prouvé plus d’une fois qu’ils s’entendaient à se faire une part léonine dans les possessions des peuples étrangers sans participer aux charges de la colonisation[1]. On laisse à son prochain le soin coûteux de bâtir, d’aménager, de meubler la maison, et on s’en assure la jouissance sans bourse délier. Cette politique, aussi adroite que commode, n’est point une invention récente; elle a été imaginée et pratiquée depuis des siècles par un oiseau qui n’a jamais joui d’une grande faveur parmi la gent ailée. Cet oiseau est le coucou, lequel ne niche pas et trouve plus simple de déposer ses œufs dans le nid des autres.

Nous faisons des vœux bien sincères pour la prospérité et le rapide développement des colonies allemandes; quand elles se seront accrues, la promesse de réciprocité un peu illusoire qu’on nous fait aura pour nous plus de valeur. Au surplus, nos voisins nous ont souvent dénié tout talent pour la colonisation; nous serons charmés qu’ils fassent leurs preuves et qu’ils nous donnent des leçons dont nous tâcherons de profiter. En ce qui concerne les arrangemens relatifs au Niger et au Congo, les journalistes qui célèbrent notre accord avec l’Allemagne comme un brillant succès pour notre diplomatie feraient mieux d’y voir un témoignage de notre esprit conciliant, de notre humeur accommodante et facile. L’occasion s’est présentée de nous entendre sur quelque chose avec M. de Bismarck; notre gouvernement s’est empressé de la saisir, et nous ne saurions l’en blâmer. Mais nous souhaitons que la conférence de Berlin n’ait pas pour effet de nous éloigner encore plus de l’Angleterre; les gens qui désirent nous brouiller avec nos désagréables amis ne sont pas ceux qui nous veulent le plus de bien. Nous souhaitons aussi que nos délégués apportent une extrême attention à sauvegarder nos intérêts par d’utiles réserves, que les décisions qu’on va prendre ne soient pas de nature à décourager les dévoués serviteurs de la France, qui bravent tant de fatigues, tant de périls, pour lui acquérir des fermes et des marchés au cœur de l’Afrique. Soyons de bons et aimables voisins, mais défions-nous de la politique du coucou.


G. VALBERT.

  1. Deutschlands koloniale Politik, von R. Stegceann. Berlin, 1884. — Europolische Colonien in Afrika und Deutschlands Interessen sonst und jetzt. Berlin, 1884.