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non loin de Liverpool, il retrouvait le langage fier et altier des grands hommes d’état britanniques sur « la puissance, la force et la richesse de l’Angleterre. » M. Gladstone répondait bien sans doute à quelqu’un, ou à quelque préoccupation inavouée lorsqu’il disait avec une éloquence superbe : «… Si vous entendez des hommes pusillanimes parler du déclin présent ou futur de cet empire, ne prêtez pas l’oreille à de pareilles fables… Mettez-vous bien dans la tête que le jour n’est pas venu, que le jour ne viendra pas où, ayant pour vous le bon droit, vous devrez craindre de regarder en face une puissance quelconque dans une partie quelconque du monde… »

Oui, certes, l’Angleterre reste une grande nation qui n’est pas près de son déclin. Elle ne peut pas se considérer toujours cependant comme une puissance unique et privilégiée, en mesure de se passer de tout le monde, de ne tenir aucun compte des intérêts des autres nations. Avec plus de justice et de prévoyance dans ses conseils, chez ceux qui la représentent ou qui parlent en son nom, elle aurait compris qu’il n’y avait que des inconvéniens à laisser l’opinion s’égarer à propos de tout en animosités perpétuelles et en contestations acrimonieuses contre la France, que l’alliance des deux pays restait encore la plus forte des garanties pour l’Europe libérale ; elle aurait peut-être évité ainsi bien des incidens qui, sans la menacer dans sa puissance, lui créent au moins une situation délicate, et M. Gladstone, qui parle avec une si fière éloquence de la grandeur de son pays, M. Gladstone lui-même, avec les fluctuations incessantes de sa poUtique, n’est pas sans doute étranger à cet embarras des affaires extérieures de l’Angleterre.

Quant aux affaires intérieures, dont se préoccupe toujours beaucoup plus le chef du ministère anglais, elles se résument à peu près exclusivement dans la réforme électorale, et ce n’est même que pour cette réforme que le parlement est réuni aujourd’hui. La question a-t-elle fait un pas depuis que les chambres se sont séparées, pendant cet interrègne parlementaire de deux mois qui a été rempli de toute sorte de manifestations et de discours ? Elle a déjà passé par bien des phases sans devenir plus claire et plus précise. Tantôt le conflit a paru s’apaiser sous l’influence a’un certain esprit de conciliation ; tantôt il a semblé se raviver sous les excitations des partis. Où en est-on aujourd’hui ? Jusqu’ici, dans les deux camps, les adversaires ont gardé leurs positions de combat, et si les chefs conservateurs se sont montrés résolus à la résistance, un des membres du cabinet, M. Chamberlain, prononçait de son côté, il y a quelques jours, un discours des plus acerbes, des plus menaçans contre les lords. Ce qui ferait croire cependant que tout n’est pas perdu, qu’il y a encore des chances de transaction et de paix, c’est que, dès la réunion du parlement la véhémence des chefs de parti s’est quelque peu adoucie. Lord Salisbury, sir Stafford